Par Venise
Mais il me semble qu’être encore heureuse après sa mort serait la plus grande trahison à notre amour. C’est rare que je commence par les mots de l’auteure, cette phrase m’a frappée, pour ce qu’elle centre du message entendu dans cette histoire.
C’est la confession d’une femme à sa fille, qu’elle ne connaît pas. Cette mère, en état de souffrance aiguë, l’a abandonnée à sa naissance, incapable d’en prendre soin sans lui faire plus de mal que de bien. Bien sûr, ce n’est pas ce qu’une mère désire pour son enfant. Toute démarche de retrouvailles est déchirante, on s’en doute, encore plus si le parcours d'une des personnes en cause est torturé. C'est le cas de la mère, et pas à peu près.
Quand s’annonce la souffrance d’une personne, qu’elle soit couchée entre les feuilles d’un roman, ou sur ses deux jambes, on s’inquiète : Aurons-nous, en soi, la force de supporter la souffrance de l’autre, de s’en détacher assez pour la transcender ? Eh bien, dès les premières pages de la vie de Raphaëlle, j’ai su que je n’aurais aucune difficulté. J’avoue avoir été étonnée jusqu’à quel point cette histoire a coulé en moi, s’est lovée en moi. Je me suis bien sûr demandé pourquoi. Cette mère relate pourtant avec force détails son tumulte intérieur, s’adressant à sa fille Hania qui aurait 15 ans en ce jour, et ce qu’elle a à lui confier est une longue suite d’épreuves et d’erreurs, ce qui aurait pu me rebuter. Le ton sur le mode intime décliné avec une remarquable aisance a su conserver mon intérêt, en plus du rythme des mots, des phrases si faciles à suivre qu’on la suit cette femme qui se noie, s’efface, s’enfuit d’elle-même. Se liquéfiant dans son rhum brun, ou s'évaporant dans ses séances de sexualité détente.
Le « moi » de Raphaëlle ainsi avalé est raconté avec une claironnante lucidité par Diane Labrecque. Sain regard qui se recule pour voir en face les gestes perturbés de son passé, et on en devine le mobile, accueillir l’indulgence de sa fille. Bien évidemment que lorsque nous en sommes à s’incliner pour recevoir le pardon s’est qu’on se l’est soi-même accordé. J’ai enfilé les épreuves, les bévues, les trahisons sur le parcours de Raphaëlle, sans trop frémir, l’acceptant comme elle aimerait que sa fille l’accepte. Une belle démonstration de la force du détachement menant à la transcendance.
J’aurais d’ailleurs apprécié que l’auteure pousse sur ce lien avec sa fille Hania. En considérant que le récit se prend comme une confession, j’aurais aimé un peu mieux sentir la présence de celle à qui s’adresse la missive. En fait, j’ai abordé le récit comme une longue lettre, d’où les repères temps seraient un peu difficiles à cerner par contre. Le propre d’une lettre est de sentir aussi bien le destinataire que l’expéditeur, et Hania est restée dans la nébuleuse. J’aurais aimé que sa présence soit si ardente dans le cœur de la mère qu’elle se transmette à nous, lecteurs. Peut-être que ce tour de magie de l’imaginaire aurait fourni à l’auteure assez de chair émotive évitant ce que je considère ici comme un piège, faire défiler une grande quantité de drames afin d’être sûr que le lecteur croit à la perturbation profonde de Raphaëlle.
Avec un tel talent pour dire et raconter, avec une capacité remarquable à manier l’histoire avec cette fluidité que l’on attend en vain dans certaines premières œuvres, je n’avais pas besoin d’autant d’épreuves pour croire à une Raphaëlle en miettes.
J'ai aimé cette lecture et j'espère de tout coeur que Diane Labrecque va récidiver, j’attends son deuxième roman avec impatience.
Les commentaires récents