Suzanne Giguère
Édition du samedi 13 et dimanche 14 octobre 2007
«On s'essouffle à parcourir la terre, à l'affût de quelque trésor qui console. On écoute le chant de la mer. On lit un poème. On respire du jasmin. On tombe avec la neige. On cherche un éblouissement qui retentira encore quand les heures creuses reviendront rythmer l'ordinaire, un éclat fulgurant qu'aucune misère humaine ne peut écraser.» Inconsolable depuis la mort de sa femme, Douglas Létourneau voyage à travers le monde. Il écrit à sa fille, une manière pour lui d'entretenir l'illusion d'une relation jamais interrompue avec elle. Ses carnets sont les seuls paravents qu'il a trouvés pour se protéger de la souffrance. Ce sont aussi, d'une certaine manière, des lettres d'amour.
Québec, 1950. À dix-huit ans, mal-aimé, solitaire et silencieux, Romain Brady coupe les ponts avec sa famille et part vivre à la campagne. Le même jour, Éléna Tavernier fuit une maison pleine de fracas et se réfugie dans un monastère avant d'être hébergée à Rivière-aux-Oies par une pharmacienne qui l'initie aux plantes sauvages.
Deux ans plus tard, Romain et Éléna se rencontrent au coeur de la nature généreuse et sauvage de Rivière-aux-Oies. Attiré par la grâce de son rire, Romain (qui dit s'appeler Létourneau) tombe amoureux d'Éléna et sort de son mutisme: «N'avoir pas parlé durant vingt ans et connaître soudain un dictionnaire entier de mots d'amour.» Le couple passe l'été à se promener dans les sous-bois. Éléna révèle à Romain le nom des plantes et leur effet miraculeux sur les migraines et la mélancolie, lui apprend à faire de la teinture d'aubépine et de l'onguent à la citronnelle. Le
domaine privilégié de Romain reste celui des arbres. Les noms résonnent comme un voyage autour du monde: «l'araucaria d'Australie, le micocoulier de Provence, le cèdre du Liban, le genévrier de l'Himalaya, le peuplier de Szechuan. Éléna donne à Romain le nom du plus grand, du plus solide et du plus spectaculaire des arbres: le Douglas.»
Mais, comme le dit la chanson, la vie parfois sépare ceux qui s'aiment.
Les années passent. Rivière-aux-Oies prend de l'expansion, connaît un essor frénétique sous le saccage des bétonnières, pendant qu'en arrière-plan se déroule une révolution à peine tranquille. Une famille singulière s'improvise malgré les ragots du village et en dépit des blessures: un médecin venu s'installer au village pour échapper aux «rugissements du monde», une institutrice au «parler insolite et aux origines nébuleuses», dont les six chiffres tatoués en bleu sur son avant-bras gauche en disent long sur la tragédie qui se cache sous son mystérieux passé, et une enfant surgie des bois.
L'enfant se prénomme Rose. Recueillie après la mort de sa mère Éléna, la fillette marque d'un feutre rouge les destinations de son père absent qui explore le monde. Dans les lettres qu'il lui envoie («c'est tout ce que j'ai trouvé pour ne jamais te quitter»), Douglas lui transmet sa ferveur pour la nature, la musique, la poésie et la fragile beauté du monde. Après treize ans d'exil, il annonce son retour. «Il m'aura fallu beaucoup trop de temps pour comprendre qu'ici ou ailleurs, loin de toi, la lumière est toujours tamisée. Il y a des silences impardonnables [...] Je n'écrirai plus, c'est mon dernier carnet, je te le promets. Je reviens. Attends-moi.»
Merveilleusement léger
Écrivaine à la prose sage et poétique, à l'imaginaire subtil et délicat, Christine Eddie émerveille par son regard bienveillant sur les êtres et les choses. Première oeuvre pour adultes, désarmante de simplicité et de tendresse, Les Carnets de Douglas coulent comme de l'eau, avec pour seule mémoire l'amour.
Soucieuse de son art et de son style, l'auteure multiplie les phrases simples, justes et parfaites: «Eh bien oui, quelquefois l'amour sait être grandiose.» Elle nous fait ressentir la plénitude lumineuse de la passion avec une finesse et une sincérité touchante qui nous habite longtemps après la lecture. Elle nous propose enfin une réflexion sur la responsabilité et l'engagement de l'homme envers la nature et l'environnement, et sur l'ouverture à l'autre, dans sa différence.
Avec Les Carnets de Douglas, Christine Eddie signe un premier roman merveilleusement léger malgré sa gravité. Il s'incruste en nous comme une incessante musique.
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