J'ai voulu cesser depuis quelques temps d'étaler mes états d'âme sur Facebook, c'est que la chose est devenue aussi un outil de réseautage professionnel... Le problème c'est que lorsque je cherche à moins me raconter sur une plateforme, je m'étale sur une autre. Comme une foule trop importante qui, lorsque la porte de droite est bloquée, se dirige spontanément vers celle de gauche.
C'est quoi ce besoin, ce besoin de se raconter au quotidien? Se raconter même dans le banal?
J'ai eu très envie plus tôt ce soir d'écrire sur Facebook ou sur Twitter "Qui est en train de monter une bibliothèque toute seule à 11h30 du soir? Qui à votre avis?". J'ai eu très très envie vraiment! Une pulsion que j'ai freiné en essuyant une petite écume de frustration.
Pourquoi dire ça? Quel intérêt? Quel est le sous texte? Le sous texte est: vendredi soir, 11h30, je suis seule, personne ici pour rire de moi qui monte toujours des meubles dans des moments improbables. Personne. J'espère quoi? Qu'au bout du twit quelqu'un réagisse. Et quelqu'un réagira, c'est ça la magie.
Une fois, bouleversée par un détail, par un non-événement, je suis passée par-dessus ma nouvelle tentative de pudeur pour twitter: "j'aimerais que vienne le jour où je n'aurai plus systématiquement l'air tache devant un homme qui me plait #FAIL ". Réaction: quelques messages de sympathie sur le ton "t'inquiète pas nous sommes toutes pareilles". Oui et quoi encore? Pourquoi dire ça? C'est une soupape? Je suis assise là, je pense exploser parce que je viens d'avoir une conversation sous forme d'onomatopées préhistoriques... alors je twitte. Au lieu d'appeler ma mère ou une amie pour dire "je suis une conne...".
De la même façon que si je twitte "je fais ceci, j'ai fait cela, j'ai aimé ceci, ahah je suis nulle", c'est souvent parce que, en réalité, je n'ai personne à qui raconter tout ça. Nous existons dans le regard des autres. Si personne n'entend mon histoire, qu'est-ce qu'il m'en reste? L'écho de la maison. Appeler une amie pour lui dire "hey, imagine-toi donc que je suis en train de monter une bibliothèque comme une conne toute seule à 11h30 du soir!". Sans intérêt... alors pourquoi le twitter?
Autre anecdote (de midinette cette fois): dans le cadre d'une discussion sans but de collègues de bureau, on soulève la question impertinente et inutile de l'âge présumé d'un chroniqueur bien connu. Bon! Je ne m'obstine pas, parce que je ne m'obstine jamais (ou presque) quand je ne suis pas certaine d'avoir raison. Mais tout de même entêtée, j'arrive à obtenir (en jouant un peu les midinettes, j'en conviens) l'âge du principal intéressé via Twitter. Tout ça, évidemment, sur la place publique. Et voilà qu'à juste titre je me fais rappeler à l'ordre par une bonne amie. Elle a bien raison: what's the point? Aucun. Du bruit. Comme se lever dans un resto pour aller demander à une vedette "C'est-ti vos vrais cheveux que vous portez dans le programme?" Sans but.
La philosophe Frédéric Schiffter disait l'autre jour dans l'excellente émission La librairie francophone animée par le merveilleux Emmanuel Khérad (une autre petite poussée de groupie maniaque!) que derrière chaque philosophe il y a une midinette. Bien dit!
Ma question est la suivante: sommes-nous condamnés à ce que les médias sociaux décuplent de nous une tendance à la futilité?
Mon point est que maintenant que je me suis obstinée avec @LITTERATURE1 sur la nuance ou non de nos propos respectifs, que mes 250 abonnés savent que j'ai monté ma bibliothèque à pas d'heure et que j'ai eu l'air folle devant un homme charmant; maintenant que j'ai gagné un (non)débat de bureau sur l'âge de @MarcCassivi et retweeter le quart de tout ce qu'il dit; maintenant que j'ai répété chaque semaine que j'adore Emmanuel Khérad... maintenant quoi...
Il est minuit trente, mon appartement est surchauffé, je n'ai pas écrit une ligne digne de ce nom depuis trois semaines, j'ai trop travaillé et pour me reposer je me suis tapée une journée complète de TouTv.
Et je réalise que je n'ai rien à répondre quand mes amis me demandent "Quoi de neuf?", rien qui se traduise bien dans cette forme normale d'une conversation normale. Ma vie est faite de deux pôles:
1- une activité bruyante en 140 caractères et qui brasse surtout du vide;
2- une activité contemplative, une activité-chameau, des mouvements de continents qui ne se résument ni en 140 caractères, ni en des questions polies du type "Qu'est-ce qui t'arrive?".
Mon essence est ce deuxième pôle évidemment. Il serait temps que je m'y mette, parce que malgré les apparences, il n'y a vraiment qu'en surface que je sois une midinette.
J'adore ta futilité... ou plutot notre tendance maniaco-futile et ultra-sociale ;))
Grosses bises !
Rédigé par : Nancy B | samedi 27 nov 2010 à 08:55
Wow. Quel texte bien écrit.
Rédigé par : C. | samedi 18 déc 2010 à 14:27