Je reviens de voir Howl, le film qui trace le portrait des premières années de carrière d'Allen Ginsberg. Poursuivi pour obscénité, l'éditeur de Howl gagnera son procès. Le juge, pourtant conservateur, sera clair: on ne peut pas imposer à un auteur une vision du monde standardisée, la liberté de parole et de presse est à ce prix.
Le film m'oblige à faire un lien avec deux débats de l'actualité culturelle. D'une part, la sempiternelle question de la qualité du français dans nos médias s'en prend maintenant à... Xavier Dolan. Ce qui est plutôt rigolo considérant que ça doit bien être la première fois de sa vie que plutôt que de se faire traiter de snob, Xavier Dolan se fait dire qu'il participe à la déliquescence du français! Bien entendu, ce n'est pas moi qui va réduire l'importance de la survie du français... Mais il me semble qu'il y a une distinction à faire entre la qualité du français qui se parle ou s'écrit par les communicateurs professionnels... et celle qui se parle dans une oeuvre artistique.
Non seulement je crois qu'un artiste fait ce qu'il veut de la langue, mais je crois qu'il est carrément impropre d'imposer à des artistes des combats sociopolitiques. Là où les artistes se gourent parfois, c'est quand ils se réclament d'une individualité créatrice qui ne serait pas en lien avec la société. Combien de fois on entend "Je ne défends pas de point de vue sur la société", "Mon propos n'est pas politique", "Je ne parle que pour moi-même", etc. Parler AU NOM de soi, d'accord, mais si vous ne voulez parler qu'à vous-mêmes, épargnez-vous (et nous!) la parole publique. La première chose qu'on apprend en science politique... c'est que tout est politique. À plus forte raison une parole créatrice portée par une diffusion publique. Vous ne vous intéressez peut-être pas à la société, mais elle est en vous, elle vous conditionne et vous la conditionner aussi.
Le paradoxe de l'artiste c'est d'être à la fois le miroir de la société (les hipsters de Xavier Dolan parle la langue des hipsters de Montréal)... mais aussi performateur, créateur, sculpteur de société. C'est une question de cohérence. Une nécessité de s'assumer. (Je ne doute pas que Xavier Dolan s'assume dans ces choix artistiques! De toute façon, il est mieux de s'y faire, je gage qu'il gagnera aussi un prix Cendrier des ayatollahs de la non-fumée!)
L'autre sujet de l'heure, c'est évidemment le débat soulevé par le dernier gala de l'ADISQ dont ont déjà bien parlé certains chroniqueurs (dont Marc Cassivi et David Desjardins). Je fais le lien avec Howl parce que lors de sa plaidoirie, le procureur, à bout d'arguments, finit par admettre qu'il y a peut-être un intérêt littéraire pour les spécialistes dans le texte de Ginsberg... mais que vaut cette validation si le commun des mortels, le peuple, la masse, n'y comprend rien! Le procureur, pour illustrer son propos, se donne lui-même en exemple: il n'a pas vraiment compris. Pour lui, c'est le regard du citoyen moyen qui devrait évaluer la pertinence d'une oeuvre.
Il y a dans cet argument ce que j'ai longtemps appelé du snobisme inversé: si je n'ai pas compris, moi qui parle au nom du peuple, c'est qu'il n'y a rien à comprendre. Il y a dans cet argument la matrice autour de laquelle s'organise tout ce débat autour de l'ADISQ, cette polarisation entre la masse et les snobs, le vrai monde et nous autres.
Ce qui est sous-entendu par les "experts" appelés à la barre dans le film c'est un argument simple, un argument qui fonde l'art: "Non, monsieur le procureur, moi non plus je n'ai pas tout compris. Mais ça ne m'a pas empêché d'être bouleversé."
Ce que les méprisants qui se posent en porte-parole des masses (pour mieux mépriser à leur tour) n'ont pas compris c'est qu'on ne fait pas semblant de comprendre la musique savante, la danse contemporaine, l'art abstrait, la poésie moderne, juste pour faire cool. Non! On ne fait pas semblant: on se contente de ne pas tout comprendre.
La parole artistique n'a pas à se fondre dans le moule d'un ayatollah, ni non plus dans celui d'un confort de masse. Elle est libre.
Et quand on choisit de l'entendre, chaque jour, chaque putain de jour, elle change nos vies. L'art ne peut, ne doit être qu'à ce prix.
Vive la liberté du geste créateur, en effet... tout en réalisant que ce ne sont pas tous ceux qui se disent artistes qui le sont.
Rédigé par : Lucie | samedi 13 nov 2010 à 16:49