Comme La Presse nous invite à repenser la Course et comme je ne saurais mieux dire que ce qu'en a dit Chantal Guy avec qui j'ai été arrêtée juste avant le fil de départ, je me permets de vous ressortir les archives.
Contrairement à tous ceux que je côtoyais et qui rêvaient d'en être sans jamais s'essayer, dès que j'ai eu 18 ans je me suis lancée. Je n'aurais jamais cru. Jamais cru qu'un jour le téléphone sonnerait chez Suzy Shier, un jour d'été, pour me dire que j'étais parmi les 50 chanceux convoqués en entrevue. Après l'entrevue se sont ouverts les quelques jours les plus longs de ma vie. Ce stress-là (savoir si je passerais du 50 en entrevue au 15 en finale) était le plus intense de ma vie. C'était pire qu'être rejetée sur un film. Être rejetée en entrevue c'était comme dire que c'était moi qui leur avait déplu, non pas ce que je produisais. Les jours les plus longs donc, où je n'ai pas fait grand chose d'autre qu'attendre un téléphone en faisant des patiences.
Je ne la ferai pas! Ça vient de me tomber dessus comme la vérité la plus absolue. Je ne la ferai pas parce que je fais de l'acné. (Non de merde, où est-ce que je vais chercher ça?)
Je n'ai rien de comparable à un Yves-Christian Fournier, un Hugo Latulipe, un Pascal Sanchez. Je ne suis qu'une toute-petite-moi-de-rien-du-tout.
Je ne la ferai pas et vendredi Annie va appeler pour me l'annoncer. Et même si je sais déjà, je vais m'écrouler.
Passer si près du rêve... de la liberté... Je ne suis pas une gagnante... je suis de ceux qui passent toujours près de gagner.
Le jour tant attendu, je travaillais. L'horreur. Je n'étais pas présente en boutique, chaque fois que le téléphone sonnait mon coeur craquait. En rentrant chez mon père, il était là, fébrile, avec sa copine. «Aloooorrrsssss?» «Ben ils ont pas appelé pa...» Et le téléphone a sonné. Et c'était Annie. Et elle a juste dit: «Salut! Es-tu prête à partir?»
Je vous l'écris, réalisant que je n'ai jamais raconté ce moment avant. Je vous l'écris et je pense que ça été un des plus beaux jours de ma vie.
25 juillet 1998
Ça y est, j'ai les deux pieds dedans. Bien ancrée. Au risque de m'en faire déloger cruellement. Je suis des 15! Le nombre qui m'a fait rêver entre tous.
Et je commence à me demander si je ne suis pas trop jeune. Moi qui en aie jamais douté, ma faille commence à saigner.
J'ai la chienne de ma vie, mais je ne peux pas reculer. L'angoisse du refus laisse la place à l'angoisse du créateur!
Il faut que je trouve le courage d'appeler Philippe Desrosiers. Je veux savoir si la barre qui me traverse le ventre va rester là un an!!! Je n'ai pas le droit de me tromper.
***
Rentrer à Radio-Canada c'est comme rentrer dans le monde des GRANDS.
Je n'ai jamais su comment je ferais pour sortir de l'adolescence... à bien y penser, je pourrais peut-être faire le tour du MONDE.
Tout le monde me dit que la Course sera le meilleure remède à mon mal. Je sais qu'ils se trompent! La Course, c'est pas comme l'Université. L'Université ça passe le temps, remplit l'esprit et c'est plein de monde nouveau. Dont peut-être un quelqu'un qui pourrait changer le mal de place. La Course c'est un trip égocentrique où centrée sur moi-même je ne pourrai que revenir et revenir encore sur mes émotions.
7 août 1998 - Aire d'embarquement/Dorval
J'ai toujours la même impression quand je pars en voyage, celle de ne pas avoir su dire l'important aux gens qui m'entourent.
Whistler (enfin!)
On dirait que j'ai peur de plonger. Quand j'ai un élan, je recule tout de suite. Mes bagages m'encombrent, ma caméra aussi. Je la sens fragile, moi aussi. J'ai la vie au bord des lèvres et j'ai peur de la laisser fuir. Je vais voir Valérie et j'aurais le goût de me caller dans ses bras une semaine et de pleurer... Pleurer tout ce que je ne pleure pas au quotidien. Tout ce qui fesse et que je retiens. Mais je ne peux pas, il faut que je filme dès demain. Et ironiquement, ça a l'air que je vais devoir commencer par le film qui est le moins précis. Je sais le rythme, il faut que ça plonge dans le concret.
À Whistler, tous les gars sont beaux... mais tous tellement pareils... Ma beauté banalisée... Alors c'est bien vrai, l'extraordinaire d'ici est souvent l'ordinaire d'ailleurs... même au sein de nos frontières. Je vis peut-être un choc culturel... ;o)
9 août 1998
Je n'ose pas! Je n'approche pas! Je me tiens toujours loin, au téléobjectif. Comme si j'avais peur de déranger. Pourquoi j'ai toujours peur de déranger, toujours peur d'être de trop? Ça devient une vraie maladie...
10 août 1998
Ostie que j'ai la chienne! Ostie que je m'écoeure! J'ai payé ma chambre d'hôtel 200$ parce que je suis une criss de pissou... Pas prête pour ça, je vous jure que je ne suis pas prête pour ça....
Washington State
Aujourd'hui je retourne à la maison. Pour mieux repartir, je l'espère. Je commençais à attraper mon rythme de Course.
Grâce à ma mère, j'ai rencontré mon premier ange de Course qui m'a fait traversé ma première montagne (et ma première frontière).
Aéroport de Vancouver
Les livres de la Course n'ont plus du tout la même saveur. Je voudrais remercier Stéphane Lapointe, parce que ça doit faire dix fois que je lis son chapitre... et je ris... toujours autant... chaque fois... immanquablement...
16 août 1998
Nathalie Martin, ma maudite, tu viens de me mettre une vérité en pleine face. Et ça fait mal! Si jamais je faisais la Course et que c'était l'ÉVÈNEMENT, est-ce qu'il me resterait autre chose à vivre après? Je voudrais faire la Course mais ne jamais devoir revenir...
31 août 1998 - 6:30 AM - 3 jours après mon 19ième anniversaire
La vie de la Course est pleine d'imprévus et de miracles... comme celui-ci... Je viens de passer la nuit dans un lit qui n'est pas le mien avec un très beau gars, pas non plus chez lui... et je ne l'ai même pas frollé!
Au beau milieu de notre nuit blanche (blablabla...), nous avons dressé la liste de NOTRE Course... en s'y incluant bien sûr. J'ai bien peur que ça ne fasse qu'en rajouter à la déception... S'il y a déception! Ou si....
Oh criss... Mon avenir se joue ce matin...
et je suis encore vierge.
En une nuit (blanche)... je me suis plus rapprochée de lui que de n'importe qui d'autres de la gang... Il faut qu'on la fasse ensemble. J'ai la chienne.
Fin d'avant-midi
Le couperet est tombé, moi je suis du mauvais côté.... Il part lui... Je suis contente pour lui. À l'an prochain.
18 octobre 1998
Ils partent cette semaine et moi je commence à digérer de travers. Je ne pouvais pas m'en sortir aussi facilement. J'ai fait des cauchemars toute la nuit.
J'aimerais qu'ils mettent au moins le site Internet à jour que je puisse vraiment prendre conscience que j'étais à deux doigts du rêve, avec eux.
7 février 1999
La Course est finie! La Course est morte... Elle est morte avec moi... À moins que ça ne soit moi qui meurt avec elle... Mais mon coeur ne bat plus de la même façon. Je me sens hécatombe... Mon plus grand rêve se noit et moi j'avale la tasse.
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