Quand j'ai écrit mon article à propos du livre de Michelle Blanc, je n'ai pas abordé directement la question de la transexualité parce que je ne voulais pas tout mélanger. Je comprends pourquoi Michelle Blanc a vécu sa décision et tout ce qu'elle implique en public. Je comprends et je trouve ça noble. Il faut que des gens prennent la parole même sur ce qui est difficile à dire, surtout sur ce qui est difficile à dire.
Je pensais à cela ces jours-ci parce que quand je fréquente les vestiaires des centres sportifs, je suis toujours épatée par la diversité des corps, mais aussi par la diversité des rapports au corps. L'autre jour, juste à l'entrée du vestiaire, il y avait une femme magnifique, une grande noire, penchée vers l'avant sans aucune pudeur, les fesses offertes aux courants d'air et aux regards. Je l'ai admirée d'être si libre.
En fait il m'arrive d'admirer (d'envier) les corps, mais il m'arrive surtout d'admirer (d'envier) la liberté de celles qui sont bien dans leur corps.
Je fais le lien avec Michelle Blanc parce qu'à mon centre sportif il y a une transexuelle. Elle s'entraîne dans un suit assez micro: petits shorts, petit top. Je ne peux pas dire que je la trouve belle, mais je la trouve merveilleusement assumée.
Pour ma part, bien que prise dans des tempêtes bien moins fondamentales, bien plus superficielles, je ne suis pas assumée dans ce qui m'arrive. Ce qui aurait dû être une virgule dans ma vie, ce qui aurait dû se régler en claquant des doigts, s'étend pourtant depuis ce qu'il faut bien compter en années maintenant.
Je n'ai rien accepté du tout, mais je me suis résignée. Depuis deux semaines j'ai cessé de me battre. J'ai baissé les bras d'épuisement. De toute façon, le souvenir de celle que j'étais est si loin que je ne me rappelle plus après quoi je cours. Je me bats sans savoir pourquoi. Alors je renonce.
J'ai toujours eu tendance à vouloir mettre mon corps au garde-robe pour n'être que spirituelle et intellectuelle. Bon, évidemment, c'est impossible. C'est matériellement impossible, mais c'est symboliquement possible. Symboliquement possible de l'investir moins. Il fut une époque où on appelait ça l'ascèse. Ne vous inquiétez pas, je suis toujours aussi athée, mais de moins en moins charnelle.
Subtilement de toute façon, les choses se sont faites d'elles-même, je me suis contentée d'acquiescer. Quand tu vis hors de ton corps, le monde extérieur ne s'adresse plus à ton corps. Comme si on avait fermé boutique. Je le veux en santé, certes, parce qu'il est le véhicule de tout le souffle que je veux être. Je ne veux pas mourir, au contraire. (Ou enfin, devrais-je dire.)
Un jour peut-être, je saurai dire les mots. Un jour je pourrai oser. Parler pour les autres qui ne parlent pas. Parce que je bien sûr je ne suis pas seule. Nous ne sommes jamais seule.
Je n'ai pas encore ce courage ou cette impudeur.
Ma seule défense aujourd'hui, c'est encore de me taire.
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