Je reviens tout juste d'Incendies. Alors je suis à chaud, c'est le moins que l'on puisse dire.
(Préalable: je n'ai jamais vu la pièce, mais je l'avais lue. Je connais Wajdi Mouawad et ses récurrences, pour ne pas dire ses obsessions. Je pense que la réception de cette oeuvre ne peut qu'être teintée par ce que nous portons, d'abord, de cette histoire et de son auteur.)
Pour moi Incendies prouve qu'une oeuvre peut être multiple. Un grand texte, une grande pièce, un grand film. Cela ne va pas de soi, mais dans ce cas-ci l'équation est réussie.
J'ai trouvé le film magnifique, les images à la fois justes et grandioses. J'adore la caméra de Villeneuve, son utilisation du flou, sa composition et ses cadrages. Son cinéma ressemble au monde tel que je l'ai dans la tête et dans les yeux. J'avoue à certains moments avoir eu une réelle fierté devant ce "film québécois". Ma seule réserve serait pour la fin. J'aurais préféré la lecture des lettres sur des images plus abstraites, des travellings de paysages méditerranéens ou autres. Pour moi la lecture des lettres est plus qu'un personnage qui lit une lettre. Il me semble que nous aurions été plus attentifs à la parole si nous n'avions pas été à l'affût de la réaction des lecteurs, réaction finalement secondaire à ce stade de l'histoire.
Je pense qu'il fallait transposer. Le verbe de Mouawad aurait été une erreur au cinéma. Ce faisant, les personnages semblent tout un coup plus réels (ou réalistes) qui ne l'ont jamais été. De la proche parenté, du voisinage de nos quartiers. Certaines émotions sont aussi plus vives.
Dans ces conditions, est-ce que le mythe tient le coup? Voilà la question que je me pose. L'émotion provoquée par la pièce (et les pièces de Mouawad en général) n'a jamais été liée à une moralité de moeurs. Nous sommes clairement (le ton, la mise en scène, la distance l'indiquent) dans le registre du mythe. En télescopant Jeanne, Simon et Nawal vers nous les repères de ce registre s'estompent.
J'en prends pour exemple ce commentaire qu'on vient de me faire "C'est pas un peu exagéré?".
Le cinéma et le théâtre opèrent-ils la catharsis au même niveau? Changement de médium, changement de niveau de langage, changement de public. Je serais curieuse de savoir si les gens sortent de la salle avec en tête une réflexion immense sur la violence ou l'image troublante d'une histoire de moeurs.
Pour ma part j'en suis sortie assommée, même si j'y étais entrée en connaissant la clé. J'en suis sortie assommée par la mise en image de cet extrême magnétisme de la violence: le coeur du cyclone. J'en suis encore étourdie et ébahie de la force du cinéma. Des images marquées au fer rouge qui m'accompagneront longtemps, comme trois petits points verticaux derrière le front...
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