La pudeur est une roulette russe. Est-ce qu'il faut parler? Écrire? Si oui, pour qui? Pour quoi? Et qui suis-je surtout pour le faire?
Si non, pourquoi pas? Au nom d'un jardin secret? Faut-il garder secret nos marais ou dire une intimité qui guérit en se disant et qui pourrait aussi guérir d'autres en les rejoignant?
Depuis 24 heures je me demande pourquoi je n'ai pas osé publié le texte qui suit. La seule réponse c'est la honte. Pas la honte d'avoir un jour été cette fille malheureuse qui s'est assommée sur la date du 10 mars. La honte d'avoir été cette fille malheureuse pour rien, malheureuse pas tant que ça, malheureuse mais pas à ce point-là. La honte d'avoir fait semblant.
Ça fait cinq ans que je travaille sur les mêmes 100 pages d'un manuscrit pour m'exorciser de cette honte-là.
Alors pour ça, pour moi, je replonge une autre fois.
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10 mars. Fin officiel de mon février interminable (particulièrement doux cette année!).
10 mars. Mon jour du souvenir. Souvenir d'une vie malgré tout. D'une survivance.
Je me rappelle de l'an 0 bien sûr, on n'oublie jamais notre vraie naissance.
Je me rappelle de l'an 1 aussi. J'étais dans une église quelque part en Bourgogne. Et le monstre n'était pas mort. J'étais encore faite de plus de fragiles que de solides. Contre toutes mes non-croyances, j'ai parlé à ma grand-mère. Parce qu'il y a de ces moments où on voudrait tellement pouvoir croire.
Ce n'est pas parce qu'on est athée qu'on ne voudrait pas parfois qu'il y ait des raisons pour que les choses existent. (Jonathan Safran Foer)
Le 10 mars. Ce dernier sprint, le moment où on plonge pour mieux respirer. Il m'aura fallu cinq ans et la mort d'une deuxième grand-mère pour avouer publiquement. Pourquoi en parler? Par conviction que c'est dans la parole que l'autre trouve son réconfort...
Aujourd'hui, 9 ans plus tard, on dirait que les mots sont difficiles. Comme si la pudeur s'était réinventée. L'année prochaine, quand ça fera 10 ans que je suis vraiment née, peut-être que je voudrai fêter en grand avec des overdoses de symboles. Mais cette année? Fêter ses neuf ans?
J'apprends à lire et à compter
À m'ouvrir sans perdre mon âme
Le présent et le singulier
J'apprends à prendre et à laisser
Et je comprends... mais pas toutJean-Pierre Ferland (J'ai 9 ans)
Le 10 mars c'est mon printemps. Cette année-là aussi je dansais de jour, pourtant quand la nuit est arrivée je l'ai avalée. D'une bouchée. Je suis née une nuit dans une urgence en vomissant du charbon. En mouchant noir, en pleurant noir, en criant sourd. Déjà honteuse d'avoir osé un geste aussi absurde. (Ce qui m'a permis de comprendre que même souffrante je trouvais encore le moyen de me culpabiliser.)
Je ne peux pas encore bien l'expliquer, mais j'ai commencé à naître le jour où j'ai vraiment cru que je n'y arriverais pas, que je ne survivrais pas à tout ça.
Quand je dis tout ça, je veux dire le simple fait de vivre avec soi.
J'ai commencé à naître, et je continue, et je ne le regrette pas.
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(200 000 tentatives de suicide au Québec par année, 4 suicides par jour, c'est trop! Si vous tombez ici pour ça, croyez-moi, il y a des oasis après les déserts. Criez. Écrivez: à vous, aux autres, à nous, à moi! Les mots ne sont pas toujours les meilleures armes contre nos monstres intérieurs, mais ils nous permettent sans doute d'un peu mieux les apprivoiser.
Suicide Action: 1-866-APPELLE)
Très touchée par ce billet. Un devoir de mémoire qui nous force à avancer. Une inspiration. Avaler la vie, cracher les mots. Bises.
Rédigé par : Lucie | jeudi 11 mar 2010 à 09:45
Touchant, touchée moi aussi.
Ça rejoint pour ainsi dire tout le monde, dans l'oeuf du désir ou dans l'accouchement du désir de partir. De partir ou de tout simplement fuir. Moi, c'était fuir ou plutôt appeler au secours. J'avais 15 ans, j'étais en psychanalyse et je trouvais mon psychanalyste trop indifférent à ma douleur. Ça n'avançait pas, on ne m'apaisait pas. Au lieu de composer un numéro d'appel au secours, j'ai composé un mixte de ce qui se trouvait dans la pharmacie de ma mère, en faisant quand même attention à ne pas trop en mettre. Juste la bonne dose pour un SOS. Cinq minutes ou dix minutes plus tard, l'estomac en feu, je suis allée voir ma mère et je lui ai dit ce que je venais de faire. On s'est bien sûr ramassé à l'hôpital où j'étais suivi. Je me souviendrais toujours avoir été très embêtée quand ils m'ont demandé de quelle manière j'ai pris mes pilules. Je crois m'être dévoilée plus que je ne le pensais à ce moment-là. Ce n'est pas bien drôle de se faire vider, on se sent d'un profond ridicule, on se sent comme poche, simplement une poche d'estomac. Ils ont dérangé le psychanalyste qui est venu me voir à l'urgence, et je ne sais plus quelle émotion remportait, la satisfaction ou la honte. Il est reparti, et m'a dit, on va régler ça à ta prochaine visite. Tout ça pour juste ça, me suis-je dit.
Rédigé par : Venise | jeudi 11 mar 2010 à 17:56
Il y a ces moments qui ne se décrivent pas... qui n'ont pas de mots pour en traduire l'essence. Seulement un long cri qui ne sera jamais hurlé, par peur de défaire cette image trop enjouée.
Il y a de ces désespoirs profonds qui ne se comblent qu'à coup de lumière. Même si la lumière semble parfois trop vive pour soi.
Merci de ce texte, de ces mots qui portent. C'est pour quand le livre???
With great respect! A.
Rédigé par : Ambrozya | mardi 23 mar 2010 à 21:46