Bashung est mort. On se connaissait peu, lui et moi. J'étais trop jeune à ma façon. Une autre rencontre manquée.
Bashung pour moi, c'est un souvenir interposé. Un bar, un soir, un homme. Et dans l'air l'impossible de nos histoires.
Son bras, mon épaule. Son odeur, sa voix. Moi ouverte, offerte. En vain. La nuit je mens. Une étreinte de fin de soirée.
Dans mon oreille, il fredonne: «J'ai dans les bottes des montagnes de questions où subsiste encore ton écho.» En toute innocence, je suppose! Il n'y a rien comme un homme pour clamer son innocence quand il s'agit de départager la culpabilité des petites fins du monde de nos intimités.
Vrai, j'ai toujours été douée pour me monter des châteaux en Espagne! J'ai aussi été douée pour m'entourer de ceux qui savaient les alimenter.
Évidemment, c'est du passé. Je n'ai plus de regret, ni de celui-là, ni de ceux d'avant, ni de ceux d'après. Je n'ai plus de regret et plus d'espoir. Je ne suis pas vraiment blasée, je n'ai même plus de cynisme. Je n'attends plus rien. Je suis ailleurs.
***
Cette semaine je suis tombée sur la tête. Littéralement. Une plaque de glace, la neige folle de lundi matin, les pieds qui partent dans la rue, la tête sur le trottoir. Bong.
Depuis chaque fois que je mets le pied sur une trace de glace, même cette glace granuleuse de printemps qui ne présente aucun danger, mon corps se rappelle le monde chaviré et je sombre dans une nanoseconde de panique. Bong! Et j'ai mal à la tête.
C'est fou quand même tout ce que le corps enregistre. Comment l'annonce du danger devient prégnante quand il a été expérimenté.
***
Il n'y a rien comme une femme pour rapatrier la mort d'un homme, l'accident de la semaine et ses amours déçus autour du même texte. Et si elle se respecte, elle finit ça par la mort en règle d'un sens commun.
Parce qu'après tout, y a-t-il quelque chose de plus con que de dire qu'il suffit de ne pas avoir d'attente pour que ça arrive.
Ce soir, j'étais au lancement de Marie-Pier Arthur. Malheureusement, le son n'était pas au top, j'ai eu l'impression de passer à côté de quelque chose. Sauf quand elle a chanté Qui sait? de Daniel Lavoie. Là, vraiment, ça m'a soufflée. J'avais oublié ça, quelque part loin dans mon enfance. En la réentendant, je réalisais qu'enfant, je l'associais beaucoup à mes parents. Hymne à la culpabilité? Suprise!
«Si j'avais juste la moitié d'un coeur, je verrais tes cernes au petit jour. Cette moitié me suffirait, pour comprendre le mal que je te fais.»
Il est certain que cette impression d'être insuffisante, injustifiée ou inadéquate ne pouvait s'appuyer, plus jeune, que sur mes parents. Mes parents qui ne m'ont jamais fait sentir que j'étais insuffisante, injustifiée ou inadéquate. Mais ce genre de chanson me parlait trop, il fallait donc que j'aie pu quelque part faire du mal à quelqu'un. Je ne voyais qu'eux.
Ce qui m'a sidérée en réentendant cette chanson, c'est qu'encore aujourd'hui, je pensais à eux. C'est qu'à presque trente ans, je ne peux pas m'imaginer ce rapport-là à qui que ce soit d'autres.
Et je me disais, comme ça, que je m'infantilise à ne pouvoir bâtir ma culpabilité sur personne d'autres que sur eux. C'est fou à dire, je sais.
Mais c'est une richesse d'autonomie d'arriver un jour en âge de pouvoir briser le coeur d'un autre être. C'est le risque du jeu appelé amour.
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