J'ai tellement voulu que les 15 premiers fragments rendent l'esprit blasé du je omnipotent que je tente de définir, que je me suis prise au jeu. En fait ça me semble tellement froid, clinique. On dirait une autopsie à la première personne, de la première personne, comme si on avait le pouvoir de se regarder mort. J'arrive pas encore à prendre le recul nécessaire pour savoir si, ce faisant, je remporte petit à petit mon pari, ou si ça se contente d'être plate. Tout simplement.
Insomnie de gueule de bois, j’ai à peine dormi. L’esprit en grand écart, je vis au rythme parisien, cherchant ma montre sans arrêt pour mieux saisir le décalage qui m’est planté au corps. Quand je me réveille la nuit, l’immobilité me choque. Je cherche les bruits de Paris, le mouvement et le mal de cœur. Rien, c’est le silence banlieue. Je suis revenue chercher des racines et en quelques jours j’ai déjà sorti pelles et râteaux pour m’expatrier. L’envie de repartir précède toujours mes retours. L’envie de repartir, peut-être uniquement pour vérifier si la mort me suivra encore, si je suis vraiment condamnée. Quand la fauche frappe de façon cyclique, on devient un peu paranoïaque. On cherche des signes dans toutes les conneries de la vie.
Jour d’enterrement, je retrouve les regards de la plate gentillesse familiale en entrant dans l’église, traversant l’allée avec l’auréole des rescapés. On me sourit respectueusement puisque je donne l’impression d’être revenue pour le générique final, moi qui n’aurai vécu ni la maladie, ni le lent envol. Si bien élevée, je sais dire toutes les platitudes d’occasion. Une seule idée m’obsède : il me semble que je rattrape quelque chose pour cette autre mort que j’ai manquée. Je volais. Pour cet autre enterrement auquel je ne serai jamais allée. J’avais précédé le deuil imbuvable. Inconsciemment, j’ai sûrement planifié mon départ à Paris pour fuir ce qui ne s’était pas encore produit.
À la sortie de l’église, je soutiens mon père qui baigne dans le miel de ses faux sourires, une boîte en bois de rose sous le bras. Une tante s’approche pour me dire que la défunte parlait souvent de moi avant de mourir. Je ne saurai jamais si elle dit vrai ou si elle a trouvé ce seul prétexte pour venir sympathiser. Comment leur en vouloir, j’ai quelque chose d’étranger d’arriver comme ça dans l’intimité de leur douleur que j’ai vécue jusque-là comme un entrefilet d’un média communautaire. Pourtant, les mises en scènes mortuaires me lèvent le cœur à la longue, et je ne crois plus au deuil des autres, y reconnaissant mes propres hypocrisies. M’entendre sangloter ici sonnerait aussi faux que de m’entendre jouir ailleurs.
Je n’écoute pas la prière, il fait beau et le trou me semble désespérément petit pour accueillir la taille de son orgueil et la vivacité de mes souvenirs. Le chant d’un oiseau me fait sourire sous le regard désapprobateur des pleureuses patentées. Dans leur rigidité, leur regard posé, la foi qui pend au cou, j’ai perdu le sens de mes rappels d’elle.
Quelqu’un dépose le bois de rose pour qu’il s’endorme dans les entrailles d’une terre fertilisée à l’engrais chimique. Le fossoyeur a quelque chose de la caricature : quelque part entre le burlesque et le film d’horreur. Grassouillet et rougeaud, la casquette pour cacher le chauve, il enterre la boîte comme on fait son jardin, avec vigueur, détermination et dynamisme. Ce fossoyeur est édenté, alors je lui souris. Il me semble que les gens édentés ne peuvent être mesquins. Lorsqu’il m’adresse la parole, je ne comprends pas son accent. Quand la beauté de nos mots ne sonne plus que comme des fritures sur la ligne, on se sent étrangère jusque chez les morts.
Commentaires