C'est un de mes premiers souvenirs d'enfance. Un souvenir de culpabilité. C'était avant Noël et je jouais à cache-cache avec une amie dans l'atelier de ma mère. En voulant me cacher sous la table je suis tombée face à face avec un cadeau de Noël. Je me sentais si coupable, je suis ressortie de la table en ayant l'impression que j'avais le péché contre les joues, livides. Mais personne ne l'a jamais su. Quand j'ai déballé le cadeau j'ai fait semblant, on apprend tôt ces choses-là. Et parfois nos souvenirs de culpabilité se relativisent d'un seul coup...
Mon cadeau, c'était un disque de Noël de Nathalie Simard.
Vous dire ce que Nathalie Simard représente pour moi. La Guerre des tuques: «L'amour a pris son temps, à travers les froids de janvier...». En vrac: «Monsieur le chêne, vous êtes un ami fidèle, monsieur le chêne...» «Je t'aime, tu m'aimes, nous nous aimons, un deux trois, répète après moi...» «Ouvre-moi la porte toi qui a la clé, de la grande école du monde... ce n'est pas facile de t'y faire entrer mais je vais quand même essayer» (Tiens, ce serait une chanson parfaite à dédier aux futurs parents du voisinage... mais elle a trop d'arrière-goût maintenant pour que je m'y résoude). Une chanson avec laquelle j'ai appris les voyelles aussi, qui ne me revient pas. Et l'autre étape après: «Lui, c'est la pluie c'est le soleil... mes larmes mes éclats de rire...» Avec René qui chantait «Catherine, je te vois partout, je me pends à ton cou...» Et celle qui me faisait penser à mon frère après le divorce qui l'a traîné loin de moi: «Prends soin de toi, tout ne finit pas là, prends soin de toi, j'entendrai ta voix même si, la vie m'éloigne de toi...»
Tout ça c'était de mémoire, je n'ai même pas ouvert les archives.
Jamais je ne nierai la douleur d'une enfant qui se fait agresser, jamais. Mais j'aimerais qu'on pose la question du symbole. Cette enfant agressée... c'est aussi l'Enfance du Québec pendant plusieurs années. L'Enfance comme dans symbole, l'Enfance comme dans fou rire, l'Enfance comme dans rose, comme dans jeu, comme dans mettre le plaisir d'être enfant dans un beau pays en musique. L'Enfance violée.
Mes souvenirs d'enfance ont soudain un goût d'acide. «L'amour a pris son temps» sonne comme une plainte qui sort du ventre trop jeune, du ventre qui ne sera jamais vraiment vierge, ça me donne des envies de frapper dans les murs. L'Enfance, on peut enfin en parler. Sans lui enlever son expérience personnelle... il faudra s'interroger ce que ça nous fait symboliquement. Parce que nous avons tous été témoins... et que pour ma génération au moins, ça marque un imaginaire. Un imaginaire qui aujourd'hui est pendu par les pieds, qui perd tout de son auréole.
Et tenez parce que je viens de la récouter: pour mon frère que je n'ai pas vu depuis six mois et qui me manque. Elle avait bien raison de m'évoquer l'avenir cette chanson.
C'est pas l'amour qui s'en va sans rêve à l'aveuglette, même si l'avenir est mort hier. Pense-à moi prends soin de toi, j'étais rien sans toi, prends soin de toi, j'entendrai ta voix, même si la vie m'éloigne de toi, Prends soin de toi, surtout n'oublie pas, prends soin de toi, tout ne finit pas là, ma vie commence et finira par toi.
Et j'ai pleuré, en écoutant cette chanson. Parce qu'il y a une enfant qui a été abusée... maintenant qu'on peut enfin dire son nom que tout le monde savait. Parce qu'il y a une enfant qui a été abusée et que moi le symbole de mon Enfance est soudain macculée de sperme et de sang.
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