Je suis allongé dans mon lit depuis trop longtemps maintenant, mais le temps n’importe plus. Il fait nuit, et ça me fait peur. J’aimerai tant tenir encore quelques heures, voir le disque solaire une dernière fois avant de partir. La nuit m’a toujours fait peur, parce que l’on se sent seul dans le noir, parce que le silence vous étouffe, parce que chaque bruit prend une forme angoissante, parce que la seule chose qui vous rattache à la vie c’est la femme qui partage votre couche.
Ce soir pourtant ils sont là à me veiller. Je leur ai demandé de rester dans la pièce, de parler, de rire. Elle m’a accompagné toute ma vie, et ce soir elle me tient la main, ses yeux rougis plantés dans mon cœur. Je lui souris, lui montre mes derniers instants de bonheur. Un bonheur qui sera éternel et qui vivra à jamais en nous deux.
Et j’entends mes petits enfants jouer, rire et crier dans le salon. Ils sont bien trop jeunes pour apprendre la dure réalité de la vie, j’ai interdit qu’on les fasse se coucher. Je veux entendre chacun de leurs cris, chacun de leurs bruits. Ce ne sont que les dernières volontés d’un mourant qui souhaite vivre ses derniers instants en compagnie des siens.
Mes amis aussi sont là, comme nous étions là pour ceux qui nous ont déjà quittés. Nous avons tellement vécu ensemble. Les mots sont superflus, seul le regard compte. Je peux compter sur eux, comme toujours, ils ont été des piliers dans ma vie, ils le seront dans ma mort. Je ne sais comment leur dire merci, alors je leur dis comme je les aime. Une dernière accolade, les doigts serrés pour échanger une dernière fois nos vies partagées.
Mes deux fils sont tristes. Ils savent que cette nuit est la dernière mais ne veulent pas croire que cela puisse finir comme ça, aussi simplement. Ils retiennent leurs larmes devant moi, mais je sais ce qu’ils pensent : malgré leurs paroles brutales parfois, ou la dureté de leurs actes ils se rendent compte à quel point ils m’aiment. Ils vont terriblement me manquer et je sais quel vieux con j’ai été parfois. Je les appelle tous les deux. Ils prennent mes mains et n’arrivent pas à articuler le moindre son, les yeux humides, ils baissent la tête, gênés. Alors je leur parle, je les rassure comme lorsqu’ils étaient enfants, comme je l’avais fait quand Pierre avait vu son petit chat mort sur la route, ou quand Marc se blottissait dans mes bras lorsque l’orage grondait. A travers nos mains, à travers nos doigts, c’est l’amour qui circulait. Je réussis à les faire sourire : je voulais partir dignement, j’avais besoin d’eux pour affronter cette nuit, besoin de leur force et de leur présence rassurante, pas de leurs larmes. Les larmes seront pour me pleurer, tant que je suis vivant, c’est de leurs mains chaudes dont j’ai besoin.
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