Certains l’appelaient « La mère Noël »… Sans doute parce qu’elle savait transformer quelques minutes en véritable cadeau. Ou alors… parce qu’elle déambulait sur le boulevard Pigalle, le mauvais temps venu, comme une reine déchue, vêtue d’un long manteau pourpre qui flottait autour d’elle en dévoilant ses bottes.
Son abondante chevelure rousse lui faisait une couronne flamboyante, quand sa fragile silhouette était piégée dans les phares.
C’était une soirée d’hiver, froide et humide. Les gens se pressaient sur les trottoirs.
Ils ne la voyaient pas. On ne la voyait plus. Comme si, dans tous ces rouges qui annonçaient Noël, son incarnat avait viré, pâli. Une petite pluie fine et incessante pressait la populace, têtes basses, vers l’abri des boutiques, vers la chaleur du foyer. Le jour s’achevait sur une nuit d’encre. Pour elle, tout commençait. Recommençait. Une nuit de plus, semblable aux précédentes, dans le miroitement des réverbères et des éclairages de Noël, dans le claquement de l’asphalte sous les talons trop hauts.
Elle chantait. Pour se tenir chaud. Pour se tenir gaie. Yeux rivés vers l’ombre du Moulin de la Butte, visage relevé vers la pluie qui entraînait, en rigoles désolantes, son mascara soit-disant waterproof. Elle s’en moquait, elle aurait bien le temps d’une retouche si … De sa belle bouche carmin, elle fredonnait pour le ciel, en souriant :
« La lune trop blême
Pose un diadème
Sur tes cheveux roux
La lune trop rousse
De gloire éclabousse
Ton jupon plein d'trous. »
Elle chantait en balançant son petit sac, aussi rouge que son manteau, aux bouts de ses doigts customisés de vermillon. La bouche du métro déversa devant elle une foule pressée. Indifférente. Les voix couvrirent sa voix. Les corps engloutirent son corps dans une masse hostile. Elle lutta pour s’écarter, reprendre pieds sur le trottoir, poussée, halée par la marée humaine. Elle butta contre un corps dur. Un grand type rigolard, au sourire mauvais, entouré de quatre autres gars à l’allure aussi peu amène, lui barrait la route. Au pas qu’elle fit pour dévier sa trajectoire, sans cesser de sourire, il fit un même pas, la troupe accrochée à ses basques, et lui ferma à nouveau le passage.
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