Je n'ai pas connu de mélancolie spontanée, ni de malaise sorti du néant. Tout a une cause ; Tout est affaire de "parce que". Parce que, le lendemain, nous allions fêter tous les saints, Yann et Cécile (vampire et sorcière) se partageaient le butin. Parce qu'ils commençaient à négocier fermement la valeur des caramels, je décidai qu'il était temps de les mettre au lit et, parce qu'ils avaient entamé le trésor, le brossage des crocs de mes deux monstres était impératif.
Ils quittaient à peine la salle de bain J'ai léché mon rasoir ; ai fendu la lèvre ; ai senti mon corps ; suis en vie quand Cécile me demanda de lui raconter une histoire.
"Dis Papa, c'est allo-ouine, racontes-en une qui fait peur !
-- Oui Papa, moi j'ai pas envie d'aller au lit."
Tu n'as pas beaucoup dormi. J'esquivai pour leur épargner des cauchemars et protéger ma nuit :
"Et si je vous racontais comment Papa et Maman se sont rencontrés ?
-- On sait déjà ça, avant t'étais un clochard et maman elle t'a empêché de boire du vin.
Gueule de bois, la mal nommée. Je mords la capsule d'une bière, puisqu'il faut vaincre le mal par le mal.
-- Non, pas tout à fait. J'étais artiste. J'écrivais des histoires, comme celles que l'on vous raconte, sauf que c'était des histoires pour les grandes personnes, tu comprends ? Je pense à Mithridate VI Eupator, roi du Pont. On conte qu'il avait su, par une longue et pénible industrie, se prémunir contre tous les venins. L'histoire est douteuse : s'il avait absorbé quotidiennement du poison, il en aurait pris goût.
-- Elles étaient bien tes histoires, Papa ? Racontes-en une !
-- Non, c'est pour les grands. Je crois qu'elles étaient bien. J'étais malheureux : je racontais mes malheurs dans des histoires. Ça plaisait aux gens. Mais moi, je n’étais pas bien. Je buvais beaucoup de vin. Maman m'a sorti de là.
Bois une dose et vide le reste dans l'évier.
"Au début, j'étais vraiment malheureux et j'écrivais pour me libérer.
Et puis je suis devenu tellement fier de ce que j'écrivais que j'ai eu besoin de plus, et pour cela je me suis rajouté des nouvelles douleurs. J'ai vécu la nuit, comme un loup ; Ai vécu une nuit de plus. je me suis fait mal exprès Mon corps exige un excitant, thé. J'emplis ma bouilloire de jus saturnin, plomb. Mes boyaux tordus à coup de coliques ; tuyaux et tout ça pour écrire d'autres histoires, d'autres vers...
-- La maîtresse, vendredi, elle m'a dit que j'avais bien appris ma poésie.
-- C'est bien, mon coeur."
Silence.
N'ai pas assez de secondes dans ma jeunesse pour jouir de mes malaises. Il faudra croquer dans l'horloge ; mordre dans la trotteuse !
Bouffer du métal !
"-- Maintenant, tu ne fais plus des histoires ?
-- Maintenant, je suis heureux. Je n'en ai plus besoin."
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