Il y a exactement deux ans, je logeais un cinq et demi trop grand, trop cher et trop vide sur le Plateau. Mon proprio d’alors, qui est le même que maintenant, m’y faisait malgré tout une bonne réduction de prix. C’est un ami. Cet appartement possédait toutes les qualités d’isolation sonore d’une boîte de carton, car j’y entendais facilement le train-train de vie des occupants de cet immeuble.
Un matin, frais me réveilla d’un fracas terrible et continuel. On fait des rénovations au troisième au- dessus dechez moi ou quoi… Non, après vérification, ça vient du sous-sol. Larry (pseudonyme, pour les intimes, c’est un Français de France), mon logeur, démolit de multiples cloisons apparemment inutiles, pour agrandir sa salle de lavage. Tous ses murs tombant comme les arbres qui les avaient fait naître. Larry y fait de belles découvertes, quelques boîtes d’époque de fromage Velveeta et des caisses vides de conserves Heinz.
Larry et Valérie (là aussi un pseudonyme) vidèrent tout ce fourbi sous les yeux inquisiteurs de deux de leurs trois fils le petit dernier piquant un roupillon. Un immense tas de bois s’empila dès lors dans le garage où je rangeais mon vélo. Du bon bois, même s’il date de 1929, de l’avant crise. Une idée me traversa l’esprit, car je n’aime le gaspillage et suis un recycleur opportuniste. Je vais m’en faire une base de futon.
Quelques vis achetées chez un quincaillier où un cycliste en chiffon s’essouffle. Un après-midi de scie à main mais, pour le bois et le cadre prochain dans lequel se poseront mes rêves se concrétisa. Je dormais, depuis plus d’un an déjà, à l’étudiante, le matelas sur le sol.
Armé d’une perceuse le lendemain, je posai un à un les traversins, vissai les pattes et obtint le lit le plus laid mais, ô combien utile, que je n’ai jamais eu. À ma première nuit, j’en sentis les bénéfices, l’effet générateur de l’effet de sol. Une semaine coula.
Caroline, une femme croisée au printemps par l’entremise d’un réseau rencontre, réapparaît à l’horizon de mes désirs, comme par hasard ou magie, comme dans l’engrenage de mes courbes bio rythmiques et mon abandon est total.
Les petites maudites sous-pattes en plastique feront que mon lit trépignera bruyamment et inlassablement de dix heures jusqu’à vers les minuits où le téléphone retentit. Valérie exaspérée de voir danser le lustre du plafond de sa chambre, me colla un appel de détresse. Bien conscient du tremblement de terre à la Kobe que je leur servais, m’excusa à ma propriétaire, non sans rire, de notre fougue.
Le lendemain je reçus timidement, les félicitations amusées de Larry, trouvant mes performances étonnantes. Le fait était que j’aimais beaucoup Caroline, car je crois que c’est la seule femme qui a su venir chercher l’homme en moi et non le néant, je lui aurais dit oui à n’importe quoi.
Je troquai les pattes de plastiques pour d’autre en caoutchouc et je vécus les plus beaux mois de septembre et d’octobre de toute mon existence, malgré l’incapacité de Caroline de dormir une nuit complète en présence d’une respiration d’autrui. Elle battit des records d’endurance et de patience en ma présence, bien en soit-il car les matins furent doux, humides et tendres. Elle en était heureuse.
À chacun sa maladie mentale.
Depuis, aucune autre femme n’a fait vibrer les planches du théâtre de mon sommeil.
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