Du bout de ses doigts, L. glissait son envie sur le papier de soie, il fleurait bon l’odeur du cuir. De nos jours, il est rare que les chaussures soient encore vendues dans cet enrobage. L. ferma les yeux. Toucher de soie. Comme la peau des amants s’effeuillant fluide et soyeuse sous les doigts. L. s’en souvient bien. Comme ce premier jour où elle le rencontra. Costume gris taillé dans un tissu souple et doux, une peau parfumée bois de santal et orange amère tout à la fois, une voix s’épanouissant en notes chaudes et enveloppantes. Il l’avait saluée, lui tendit la main, elle répondit sans trop chercher le pourquoi de ce geste inattendu. D’emblée, il lui plaisait. Narines dilatées, elle s’imprégnait de son odeur, goûtait silencieuse, le velouté de sa voix, arrondissant ses lèvres sur la promesse d’un oui. Une rencontre, une promenade sur la mosaïque rose des piétonniers, un café crème, un tête à tête dans l’intime d’une chambre. Ni la sienne, ni celle de L.
C’était une chambre aux proportions d’un carré. Les murs tapissés d’un brocart d’or mettaient en valeur le lit japonais central dont le futon rouge reposait tel un coquelicot sur un calice noir. A gauche, une lampe en forme de poisson ciselé dans une dentelle de porcelaine ajourée éclaboussait l’obscurité de mille ocelles lumineux. L’air embaumait sous les effluves de l’oliban embrasé. La pièce était vide de tout autre mobilier.
Leurs corps se détachaient dans l’espace nu, deux verticales s’élevant comme les colonnes ioniques d’un temple antique, à l’approche des mystères d’Eleusis. Leurs regards entrecroisés palpitaient d’un indicible. Il prit l’initiative, avec douceur, effeuillant un à un leurs vêtements jusqu’au désir dénudé.
Regarde-moi, lui dit-il, fais-moi l’amour avec tes yeux, les paupières ouvertes sur la nuit sauvage de tes pupilles de moire.
Embuées sous le sel du plaisir, nos peaux glissées sur la mouvance de nos corps-paysages, s’épanouissent dans l’incarnat d’une insaisissable gestuelle, raconte L. Dans le noir de ses prunelles, je contemple son corps fléchi de tendresse se couler en mon être, je m’éclos fleur d’oranger sous le soleil de ses caresses légères. La nuit s’agite de mille échos, murmures d’une Afrique sauvage, quand les fauves sinuent entre les herbes de la savane en quête de quelque proie. Il me presse contre sa vigueur, me roule entre ses bras, m’enlace de fines morsures. Un feulement gronde en ma gorge. Je me métamorphose panthère, ma peau noire bondissant d’un puissant coup de rein, mes caresses égratignant son torse, l’appel du sang découvre mes crocs. Je suis gazelle, proie qui tressaille dans la gueule du prédateur, je sens la mort venir, mes veines pulsent la chaleur d’un sang agonisant. Mémoire archaïque qui s’éveille dans la délivrance des sens oubliés.
Dans l’oeil de son iris, se profile à présent, l’image de l’homme-bélier. Un feu jaune étincelle dans ses yeux. Il m’attire jusqu’à la possession et la nuit s’enflamme de luxure à la grande joie de Sodome. Fêtes galantes des mille et une nuits. Nos corps s’explosent, océan de feu tourbillonnant jusqu’aux lointaines contrées stellaires, jusqu’à la mort d’une étoile vieillissante qui implose sa matière aux confins de l’infini, jusqu’à la naissance d’un nouvel univers rayonnant dans la nuit de nos pupilles.
Lorsque L. s’éveille des fatigues de l’amour, elle découvre le vide de son absence. Sur l’oreiller, une orchidée pourpre, dernier mot tendre d’une rencontre dont l’histoire se termine à la lumière du jour.
L. ne revit plus son amant. De lit japonais, elle n’en eut jamais. Mais son regard avait acquis une étrangéïté qui décontenançait quelques fois les hommes, comme une statue vacille sur un sol amolli tout à coup.
Les commentaires récents