Coïtus Impromptus (Version 1.0)

Le pantalon de Paul (Mélie)

Chapitre 1

Chapitre 2

Avec mon ami Paul nous en avons vécu des choses ! Il a été dès le début un compagnon attentif, et notre entente a été immédiate. Oh bien sûr je le partageais avec son amie, mais elle aussi était gentille avec moi, elle me caressait parfois doucement, tendrement. Tous les deux prirent grand soin de mon apparence, me lavant avec délicatesse, me repassant avec affection. Paul me sortait régulièrement de ma maison, certes un peu sombre, mais où mes nouveaux amis m’acceptèrent très rapidement. Je n’étais pas jaloux lorsqu’il ne me choisissait pas, et aucune concurrence n’avait lieu d’être entre nous autres frères.

J’ai découvert le monde avec mon ami Paul. Il m’a emmené dans les endroits les plus divers, j’ai bien connu le cuir un peu usé de son fauteuil de travail, je me suis frotté aux tendres pousses du printemps lorsqu’il déjeunait au parc, j’ai même pris l’avion une fois, pensez-vous !

Pour être honnête, Laura m’a un peu manquée au début. Et puis qu’est-ce que vous voulez, on s’habitue finalement à l’absence d’un être cher, et il m’arrivait parfois de la voir de loin, lorsque nous allions acheter un nouveau frère.

Je crois bien que j’étais le préféré de Paul, pendant de longs mois. Nous avons vieilli ensemble, nous avons partagé certains cafés lorsque ses mains étaient malhabiles aux petits matins, nous avons souffert ensemble des chaleurs estivales, nous étions si proches !

Regrets et remords (Mélie)

« Regrets et remords, importance et limites de la culpabilité de l’Homme ».

Huit heures le matin, un jour de juin. Une jeune fille vient de décacheter, la main tremblante, l’enveloppe plastique contenant le sujet de philosophie. Elle reste interdite devant l’intitulé. Elle s’attendait à l’un des grands classiques tels que De quelle vérité l'opinion est-elle capable ? Donner pour recevoir, est-ce le principe de tout échange ? mais là, cette phrase sans interrogation claire, ces mots puissants qu’elle ressent comme pénétrant son intimité, la perturbent beaucoup.

Comment se sortir correctement de ce piège qui lui est adressée à elle, personnellement, une gosse d’à peine dix-huit ans ?

Le contexte dans lequel elle se trouve, dans une salle de classe aménagée pour le baccalauréat, avec trente autres candidats autour d’elle, sa copie serrée dans la main, ses stylos posés sur sa petite table, tout cela échappe à sa conscience soudainement.

Retour en arrière, dans les années qui se sont écoulées trop vite, son père quittant la maison, sa mère lui martelant itérativement les pires horreurs sur lui, sa décision de ne plus le voir, jamais. La façon dont elle a serré les dents à chacun de ses appels, à chacune de ses visites. La fuite devant ce père qu’elle aimait tant.

La tête lui tourne, des nausées la prennent par surprise, elle suffoque de douleur. Ce père qu’elle a remisé au fond de ses souvenirs, son image, sa voix, ses gestes qu’elle a tassés bien au fond de son autre vie, celle d’avant, celle dans laquelle elle ne veut plus s’attarder, s’impose maintenant à elle avec toute la force des sentiments refoulés, gommés, niés.

« Mademoiselle ? ». Le professeur surveillant la salle se penche sur la jeune fille en sueurs, sa copie mouillée par les larmes. Elle ne répond pas, elle n’est plus là vraiment, l’esprit déchiré dans un autre monde, celui de son passé.

Armelle fixa le coin... (Mélie)

Armelle fixa le coin du drap… pour la dixième fois ce matin. Elle appelait cela, en rigolant à moitié, le syndrome des coins. Et à chaque fois que son regard se porte sur un coin de drap, elle visualise mentalement, très fugacement, le visage de son grand-père. Cette fois, la dixième, elle s’attarde un peu sur les reliefs osseux, sur les rides à tous les coins, ceux des yeux, de la bouche, du nez, sur les yeux durs et froids de son ancêtre. Il est mort, ce vieux con, se dit-elle. Cela fait maintenant deux mois. Et son regard qui se fixe au coin du drap, cette fixation de l’inconscient, cette émanation-hommage, tout cela est apparu il y a deux mois. Armelle a perdu ses parents très jeune. Oh, ils ne sont pas décédés, non, ils l’ont simplement confiée à ses grands-parents maternels pour continuer leur vie ailleurs. Loin. Elle a l’impression d’avoir sauté une génération, d’être le maillon ressoudant la chaîne brisée. Son grand-père, le vieux con comme elle l’a appelé secrètement toute sa vie, était un militaire en retraite, bénéficiant de par ses bons et loyaux services à l’armée d’une rente fort confortable. Le vieux con fut marqué durant toute sa retraite des séquelles de son conditionnement professionnel, ce qui lui a valu le respect craintif, la terreur instinctive, la peur viscérale de tout son entourage. L’une de ses marottes, dès le lever réglementaire de toute la maisonnée, était de vérifier minutieusement la rectitude géométrique de l’agencement de la literie familiale. Chaque matin d’Armelle débutait par une torsion douloureuse au creux de l’estomac, dans l’attente de l’inspection du vieux con. Et deux mois après la disparition brutale de l’aïeul maniaque, Armelle ne peut s’empêcher de regarder, avec une angoisse diffuse, son lit fait au carré.

Trois dollars et quelques sous (Mélie)

Il y avait un vieillard, dans la petite ville, ou peut-être pourrions-nous dire grand village, de Ploubestan, dont personne ne connaissait le nom, bien qu’il y vécut depuis des dizaines d’années. Même le doyen de Ploubestan, dit « Le Vieux », ne pouvait retrouver de souvenirs du village sans y intercaler celui que l’on appelait Troissou.

L’origine même de ce surnom, puisqu’il fallait bien le nommer, était évidente à tous. Mais tout le monde ne peut se vanter de connaître la vraie légende des « Trois dollars et quelques sous » que je m’en vais vous conter là.

Il était une époque où Troissou ne s’appelait pas encore ainsi, époque où, bien avant d’être le vieillard que l’on connaît aujourd’hui, il était un beau jeune homme plein de vie, allant avec entrain sur les chemins de la Bretagne profonde. A ses côtés se tenait la belle Morgane, sa jeune épouse. Ils avaient pour présent de mariage obtenu de la grand-mère de Morgane la révélation du lieu où coulait la source de Barenton, au cœur même de la forêt de Brocéliande. Là bas, il espéraient trouver la vénérable sorcière Kamakern dont très peu connaissaient encore l’existence. Ses pouvoirs, amoindris par le temps, car elle était maintenant âgée de cent trente ans, ne lui permettaient plus que d’exercer la divination.

Morgane et celui que l’on appellerait bientôt Troissou ne croyaient que peu en cette science occulte. Mais, sous l’insistance de la grand-mère, et profitant de l’occasion pour découvrir le lieu de toutes les légendes de leur enfance, ils marchaient bon train, s’enfonçant peu à peu dans le fouillis d’arbres et de fourrés épais, contournant les étangs, trébuchant sur la rocaille.

Histoire érotique sous réverbère (Mélie)

Je m’appuyais contre une barre glacée, un peu vacillante dans la nuit épaisse, frissonnant dans ma robe légère, mes yeux clignotaient sous cette lumière tombée du ciel, bien éprouvante pour des yeux rougis par les larmes. Du ciel ? Ah mais non, c’est à un réverbère que je me suis agrippée. Je passe un doigt tremblant sur sa surface lisse et froide, frappée par endroits des coups du temps, de petites crevasses imperceptibles à l’œil. Et, brutalement, je suis projetée dans le passé le plus récent, la scène que je viens de vivre. Tu m’as exclue de ta vie, mon Amour, il y a quelques heures de cela. Notre douleur était si grande, nous submergeant avec la fulgurance des grandes catastrophes naturelles, que nous n’avons pu pour nous quitter que faire l’amour une dernière fois. Une dernière, comme celle que les chanteurs prévoient dans leur répertoire de concert. Une dernière qui rappelle singulièrement la première. Une dernière où ce furent tes larmes que je pris entre mes lèvres, où ce furent les miennes que je retrouvais sur ta langue lorsqu’elle fit irruption en moi. Cette grande dernière, comme l’exigeait la gravité de la situation, fut empreinte de la solennité des grands évènements historiques. Ta peau n’avait plus la douceur de la veille, tes lèvres étaient moins chaudes, ton sexe palpitait moins sous mes doigts devenus malhabiles. Et puis il y eut cet instant où je me détachai de notre assemblage larmoyant et où je vis, je te le jure mon Amour, tout le ridicule que nous représentions. Une dernière fois, foutaises ! J’en pleurais de plus belle.

Un petit bout de papier... (Mélie)

Il enlève son jean, pour le passer par le hublot de sa machine à laver. Parce que sa maman lui a appris à faire les poches avant la quasi-destruction de tous les objets malencontreusement soumis à liquide à haute température, il découvre un bout de papier, tout chiffonné.

Avec un mot unique, « Toi ! ».

D’une écriture qui ressemble étrangement à la sienne, mais, il ne saurait dire pourquoi, il ne veut pas reconnaître ce mot comme de sa main.

Et puis ce point d’exclamation.

Pourquoi se serait-il écrit ceci à lui-même ?

Non, ce ne peut-être qu’un petit bout de papier qui s’est glissé dans sa poche. Que l’on a glissé.

Mais qui ? Et que voulait signifier cette personne qui n’a même pas eu le courage d’assumer cette altercation manuscrite ?

Gate number J10 (Mélie)

-          Ma chérie ? Tu ne crois pas qu’il serait temps que nous discutions un peu
-         

Mmm ?

Lui était assis, elle affalée plutôt, sur le siège à côté. Avec une bande dessinée sur les genoux, elle se tortillait les cheveux doucement, enroulant une mèche dorée autour de son auriculaire. Il ne faisait rien, ne la regardait pas, les yeux plongés dans le grand vide de la salle autour d’eux. Nerveux, il portait compulsivement ses doigts à la bouche, pour en ôter un reste d’ongle inexistant.

-          Tu ne crois pas ?
-         

Mmm, si peut-être.

Roger au mois de mai (Mélie)

Ou Roger, moi, mais…

J’ai rencontré Roger en ce mois de mai 1998, le troisième jour du mois, si ma mémoire ne me fait pas défaut.
C’était un homme un peu étrange ce Roger.
Je l’ai vu pour la première fois assis sur un banc en face de la cafétéria de l’hôpital, il s’amusait, semble-t-il, à détailler les personnes passant dans son champs de vision.
Mais moi, alors que je passais dans ma petite blouse blanche, pressant le pas vers mon service, il ne s’est pas contenté de me regarder.
« Mademoiselle ? ».

Lipogramme en A, I et L (Mélie)

Tu cognes encore. Tout près de mes esgourdes. Tu tempêtes, tu t’entêtes, tu cognes toujours.
Ce grondement ne cesse, tu bourdonnes, tu ronronnes même.
Je m’empêtre, je t’en veux. Tu restes fermement en demeure, tu guettes ce moment ténu où, perdue, je jette prudence, où efforts et vertu ne peuvent que se soumettre.
Bon.
Bon, bon.
Nous converserons donc encore, tu es en mon être, pensée de mon jugement, du fond d’une suture, d’une démence, d’un tourment, d’une psychose.
Je me rends. Nous consommerons donc ce jour en duo.
Un jour dénué de sens.

Carnet de doute (Mélie)

Le doute la rongeait.
Alors elle rongeait ses ongles jaunis par le tabac.
Tabac mâtiné de cannabis, pour oublier le temps de l’inhalation les ombres barrant sa lucidité.
Ou pour oublier sa lucidité, peut-être ?

La méfiance la faisait vaciller sans cesse autour du point d’équilibre.
Un flottement incertain.
L’embarras du clair-obscur.
Ou de l’obscurité pure ?
Ou de la pure supposition ?