Monsieur William
Eternadorus William était un homme précis, ordonné, fiable. Il était toujours à l’heure. Ses vêtements comme sa tenue étaient toujours impeccables. Il tenait des propos de circonstances, en toutes circonstances. Il nourrissait le fantasme secret d’être né pauvre mais digne dans l’Angleterre victorienne, pour travailler comme valet, encore plus net et mieux éduqué que ses maîtres, vivre une grande histoire d’amour muette avec une femme de chambre.
Vers l’âge de dix-huit ans, à l’heure où l’adolescent songe à devenir un homme, il décida que la blague avait assez duré. Il changea son prénom en James. Ainsi il put se glisser dans une vie paisible d’employé modèle, loin des rêves de sa maman et de son papa, qui le voulaient danseur pour dames en costume de satin vert. Il connut le bonheur du complet gris, des réveils matinaux et des journées de labeur honnête. Petit à petit, son visage devint de la même couleur que ses costumes, ses traits plus flous. Il se mit à n’écrire qu’en lettres majuscules, pour assurer une meilleure lisibilité à son lectorat, quel qu’il fût.
Ce qui vient d’être dit résume les quarante années de son existence. Nul ne sait pourquoi monsieur William, par un beau soir du mois d’août (il faisait si beau, il faisait si doux) s’en alla, dans les rues, au hasard, et voilà. Il se retrouva dans une avenue louche et rencontra une fille qu’il voulut entraîner dans un hôtel borgne, ce qui ne constituait guère une amélioration. La fille était jeune et jolie mais ne ressemblait en rien à son idéal féminin si discret. Pourtant, quand un homme ivre voulut la lui arracher, il se battit pour elle, jusqu’à recevoir un coup de couteau sournois.
Mais un homme droit le reste jusqu’au bout. Les officiers de police furent très touchés de lire sur le mur, tracée nettement, avec du sang, une description détaillée de l’apparence de l’assassin, jusqu’à la mention, sans doute réprobatrice, de son haleine avinée. Ils la recopièrent avec gratitude pour l’homme qui, jusqu’au bout, avait su rester méticuleux : tous ces renseignements étaient écrits en lettres majuscules.
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