Mon monstre familier: L'intrus.
Dans la rue Transit, de derrière une clôture rouillée, la Madone me sourit. Sa robe est bleu délavé, ses yeux aussi ; des yeux si fatigués d’avoir trop longtemps regardé le ciel et si petits encore de les tenir braqués sur un soleil qui mord. Il n’y a plus d’enfant dans le creux jadis accueillant de ses bras. La statuette, elle a dû être saccagée, déverse maintenant ses entrailles en compote. Des lambeaux de plâtre gisent encore tout autour du socle. Je passe. Il me semble qu’un petit oiseau vient de prononcer distinctement les mots « fruit » et « béni ». J’en suis estomaqué. Pas un piaf aux alentours. Je m’inquiète ces temps-ci. Je ne suis pas dans mon assiette. Je me trompe dans les dates et les rendez-vous, je musarde en route et j’en viens à me perdre dans des coins que je ne connais pas. J’espère que ce ne sont pas les prémices discrètes d’un syndrome de Creutzfeldt-Jakob. Avec la quantité de viande que je bouffe. J’avais encore jamais entendu d’oiseau causer. Ouh la la ! En même temps, c’était peut- être un mainate échappé. Un mainate en cavale, ça pourrait... Mais c'est quand je me suis réveillé en nage la nuit dernière que j’ai vraiment cru que j’en avais un d’oiseau, piégé dans ma cage thoracique, affolé à s’en briser les ailes dans ses battements frénétiques. Le téléphone a sonné en pleine nuit. Une seule fois je pense, mais ça a suffi à m’arracher à un sommeil profond. J’ai jailli de mon lit par réflexe et je me suis retrouvé là, planté tout pantelant, au beau milieu de la chambre, avec le cœur qui pulsait furieusement. Je me suis recouché mais mon cœur semblait n’en avoir cure. C’était comme si chacun de ses battements cherchait à me défoncer la poitrine. Ca tapait, ça tapait là dedans avec violence. Pas moyen de le calmer. Comme s’il voulait me dire : « Ca y est, tu vois, j’ai ma vie à moi. D’ailleurs, ta vie, c’est moi, non ? » Il aurait pu se mettre à danser la salsa ou le pilou-pilou. Je crois que je n’aurais pas pu en être plus horrifié. Ces « boum-boums » qui me retentissaient jusque dans la moelle des os et ça ne faisait pas mine de s’arrêter, comme si chaque nouveau « boum-boum » se nourrissait du précédent. Le résultat de je ne sais quelle génération spontanée monstrueuse me sapait du dedans : plus je m’inquiétais de cette autonomie cardiaque fraîchement acquise, plus je m’angoissais, et plus ça tambourinait à tout rompre. Je ne saurais dire si je me suis rendormi ou évanoui. Je crois que c’est ces gélules que je prends. Elles me font du mal.
Les commentaires récents