Elle me souriait.
De tout le Hezbollah autour, elle avait déposé sa tête sur mon épaule, au milieu de la plaine de la Beka, pas loin un portait de Komeny rouillé, la ruine d’un char au milieu d’un champ de pavot, elle a dit: “comme je voudrais dormir…“
On s’est allongé là sans rien dire. Deux femmes.
Un lac bleu au fond, les chansons d’Oum Kalsoum que toute la famille reprenaient en choeur dans la voiture.
Que la paix te garde, elle a dit en arabe au soldat syrien.
Elle me souriait.
Elle était venue jusqu’à la tente, partie en vrille après un tourbillon de sable jaune, au loin les vestiges de Gengis Khan , une longue piste au milieu des paturages décongelés. Elle voulait entendre des mots, qu’on lui lise le journal en français, le monde diplo du mois qu’on avait encore, et à chaque article, chaque pays, elle montrait où c’était dans le monde le Maroc, la Colombie, … elle n’avait pas 12 ans, elle a du chanté une chanson puis en s’éloignant a continué de prononcer nos noms jusqu’à se fondre.
Elle me souriait encore, à travers ses larmes, du plaisir qu’elle venait d’avoir, Tania une danoise inconnue qui voulait s’oublier dans mes doigts et trébucha sur un battement de coeur.
Elle me sourait toujours, cette quadra khampa qui tata ma cuisse en voisine de charette, puis refreina sa curiosité mais non point son sourire et puis finalement céda à la tentation d’y revenir. J’aimais cette manière de bonjour, du façonnage manuelle, de chair à chair.
Elle me souriait comme de loin en elle, de cette vieille pierre de temple khmer avec laquelle j’essayais d’être au mieux de mon vivant, de mes jambes qui déclinaient la liberté de la marche, allant jusqu’à danser devant ses yeux habitants les lieux.
Non, ce n’était pas une statue, elle ne perdait aucun mouvement de mes jambes, elle appréciait et souriait qu’avec deux membres, je fus là à lui offrir le jeu. Au début je n’avais vu que ses yeux intéressés, et puis l‘immense dignité dans le visage, et puis plus bàs que son sourire, j’ai vu sa jambe qui manquait.
Bombe à fragmentation.
Elle souriait presque trop, presque à tout le monde, à faire cramer le kebab, elle a dit: ne tombe pas amoureuse en étant persuadée du contraire, son sourire avait déjà trouvé sa place.
J’avais oublié qu’on pouvait sourire pour rien, que le don était la meilleure détente, et que si son sourire allait au delà de moi, il passait en moi.
Et dans ma mémoire, tous ces sourires offerts, comme des petites bombes de bonheur fragmenté qui font bondir le cœur de joie, sans prévenir parfois.
Chez les gurungs du Népal, on dit « un sourire beau à manger », on mange des sourires comme nourriture première.
De ma mémoire entière, rien du sourire de ma mère.
Le carnet de l'auteure
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