Bien plus facile désormais
Autrefois ils étaient là, sous nos yeux, proches à nous toucher avec leurs odeurs ...
L'aspect je parvenais à m'y habituer, mais l'odeur !
Ce mélange de sueur, d'urine et de ce que l'on devinait être du vin à force de les voir vivre en
petit groupe réuni autour d'une bouteille comme autour d'un boucan.*
Autrefois les plus courageux d'entre nous, ceux dont la foi ardente parvenait à effacer en eux
ce dégoût qui nous étreignait tous, ceux là lavaient même ce qu'il restait de corps sous les
fripes crasseuses. Pas facile, car bien peu se laissaient faire, par paresse, reste de pudeur ou
simplement en continuité avec ce refus total d'un monde détesté, refus d'autant plus définitif
qu'il n'était que la réplique symétrique de celui du monde lui-même à leur encontre.
Moi, j'avais choisi la soupe.
Prendre le bol, le remplir – une louche et demi d'un liquide brunâtre parsemé de légumes
bouillis au fumet rassurant – l'offrir, en plaçant les doigts de manière à éviter la main qui se
tend, glisser un regard doux et régulier dans son mouvement – surtout ne pas se laisser
attraper – droit devant, mimer un sourire, lâcher un bonjour calibré, chaud comme la soupe ou
l'une de ces paroles neutres qui n'appellent aucune réponse, puis se saisir d'un nouveau
récipient.
Au début, malgré les conseils des anciens, j'y plaçais une cuillère, mais la plupart préféraient
boire à même le bol et certains la faisaient tomber à terre éclaboussant tout autour d'eux sans
même sembler s'en apercevoir.
Bien plus facile désormais, moins éprouvant, beaucoup moins éprouvant ... et plus cette
odeur !
Le virement automatique part à date fixe : 30€, même pas la peine de vérifier l'état de mon
compte !
Ceux qui s'en occupent à présent sont de vrais professionnels, pas des comme nous, avec juste
dans leurs mains le désir de bien faire, de répandre l'amour et la fraternité sur le monde, mais
si démunis, si maladroit, si loin de l'indispensable sainteté
...
et puis, cette odeur !
*feu de camp sur lequel on faisait boucaner la viande.
Que j'aime ce texte sans complaisance qui nous rappelle que cet autre qui vient avaler une soupe ce pourrait être nous
nous si souvent nous débarrassant de ce qui nous dérange dans une obole
le regard intérieur qui observe si finement les gestes attitudes adéquates et cette maladresse des débuts quand on veut si bien faire
Et puis le rapprochement à la fin entre les mots "sainteté" et "odeur"
Et enfin ces photos... Que d'amour pour faire ces photos, que d'amour militant .Que de tendresse pour ceux qui sont souvent des coquilles brisées au bord d'un vide dont on n'a aucune idée.
J'ai aimé la première photo, le regard qui porte loin de cet homme sans age et comme un sourire sous la moustache, un sourire sans illusions...
Rédigé par : Russalka | 17/01/2006 à 08:08
René a pu faire ces photos parce qu'il a longtemps été l'un d'eux
(d'ailleurs ...)
tous ceux qui sont en image
sont morts à ce jour
d'où le titre
"portrait de groupe avant démolition"
merci Russalka de ton partage
Rédigé par : Le bateleur | 17/01/2006 à 18:47
Ailleurs ou ici, les mots sont jolis si on sait les lire et les entendre.
Rédigé par : Christophe | 05/11/2006 à 16:38