Armelle fixa le coin du drap, puis le pantalon de Paul, abandonné sur le lit japonais, avec un mélange de remord et de regret. Elle se souvenait parfaitement de la première fois qu’elle avait vu ce vêtement.
Montréal, arrivée Gate number J10. Six mois sans lui.Elle s’était serrée contre lui, amoureusement, glissant sa main dans sa poche.
« Tiens déjà un trou ! »
Paul avait ri : « j’ai rajouté un peu de sel au voyage »
Plaisir surpris et toujours surprenant, hors du temps. Renaissance d’un totem mouvant. Pourquoi donc ce pantalon, acheté trois dollars et quelque sous joua-t-il ce rôle incongru d’une madeleine poignante, lorsque l’histoire érotique-(partout n’importe quand , sous le reverbere à minuit, à la taverne du coin, un mercredi) devint clairement cette pièce bouffonne, où se jouait, entre l’être et le néant, la fascination du pire.
Il avait suffit d’un petit bout de papier chiffonné dans la poche arrière de son jean, pour qu’Armelle, le cœur dégoussaillé, un goût d’acier froid sous la langue, bascule du haut de sa tour, comme Alice au pays des miroirs.
Armelle relut le billet : « très cher, un sexe éthéré très peu pour nous…Je préfère nettement une rupture dès qu’une femme se pointe. Choisit : ton épouse ou bibi ! »
« En avril, pensa t-elle, c’était vive la mariée. En Mai c’était Roger, sans que je le suce. Oh zut je redeviens miss lapsus ! Delete delete…tu parles d’un poison d’avril … »
Que pouvait-il subsister d’intact, dans cette mémoire fragmentée ? ce bout de papier parasite rongeait tout, transformant le merveilleux voyage en carnet de doute, le récit de cette nuit torride à Tombouctou en conte de la sorcière chagrine.
Il n’aurait pas dû, il n’aurait pas dû.
Elle s’endormit sur cette phrase enfantine. Sur l’oreiller, il y avait le billet de Roger, et le sien :
« je veux pleurer, je veux crier, je veux dormir, ou rire . je veux un môme. Je veux mon homme pour moi, ou bien je m’envoie un max de benzo …dommage quand même»
Quand il posa son doigt sur l’interrupteur, il aperçut ses seins en premier lieu : il était revenu pour eux. Il ne vit qu’ensuite les deux billets.
En composant le numéro des secours, il pensa que les histoires d’amours étaient toujours des monstres hybrides.
j'aime beaucoup la liberté de ce puzzle monstre, la fantaisie de tes mots...
Rédigé par : Bibi | 05/12/2005 à 07:37
Très jolie combinaison des thèmes de CI... je n'ai pas compté mais il y en a un max !
Rédigé par : fuligineuse | 05/12/2005 à 08:35
Merci à vous deux. Hors la photo, je crois que j'ai essayé de mettre tous les thèmes trouvés en archives. J'aime bien les contraintes, même si je reconnais que c'est toujours chez moi une façon de ne pas s'approcher trop près de l'écriture. j'ai beaucoup d'admiration pour ceux qui , ici, osent le grave et le touchant...
Rédigé par : lilidub | 05/12/2005 à 14:47
Ton texte m'avait échappé... Ah! Que c'est bien fait.J'adore aussi écrire avec des contraintes.
Superbe!
Rédigé par : bertrand | 08/12/2005 à 14:49