La chaleur est accablante aujourd’hui.
Le vent brûlant prend les dunes comme repaire, et en maître des lieux il joue à dresser des embuscades cruelles, soulevant le sable en gifles piquantes.
Mes pieds nus s’enfoncent lourdement dans la masse fuyante de la plage. L’humidité n’est pas loin en dessous, comme un derme compact sous une friable pellicule.
Parvenue au faîte de ce mamelon instable pulvérisé de soleil, je regarde un instant l’étendue sablonneuse, barrée par une mer aux brillances de métal. Le souffle maritime secoue les mèches de mes cheveux, en caresses sèches qui cinglent mon visage. Les vagues ressassent une rancune antique dans un langage devenu incompréhensible.
Eblouie, je détourne les yeux de l’éclat miroitant des flots où des baigneurs rient et gesticulent, leur voix émergeant à peine du fracas marin.
Des enfants courent en tous sens, s’agenouillent et tamisent le sol blond en rituels précis.
Ils modèlent des tertres, malaxent le sable dense et mouillé, jettent la poudre de la surface et sacrifient les dieux qu’ils viennent d’ériger.
Ils tombent en boule sur le sol caoutchouteux et se relèvent avec la maladresse souple des jeunes félins étonnés. Le hâle satiné de leur peau a la perfection des luxueux velours. La beauté et la structure de leurs silhouettes enfantines suspendent ma respiration au creux de ma gorge. Je devrais les dessiner.
Je ne descends pas le long de la dune, je glisse plutôt jusqu’en bas par avancées discontinues et profondes. Je m’enfonce jusqu’à mi-jambe dans cette bouillie de sel, de calcaire et de coquillages finement brisés. Courant presque, j’échappe de justesse à la butte dévorante.
En bas, le vent s’est calmé. Mais une curieuse impression m’envahit.
Qui ressemble au malaise. Quelque chose cloche.
L’impression qu’un jeu très sérieux a commencé et dont j’ignore les règles.
Je cherche. A priori il n’y a aucun danger alentour.
De nombreuses personnes paressent au soleil. Ce sont les vacances, quoi.
Pourtant c’est comme si justement cette détente était un masque, une fausse apparence, un leurre de farniente. «Une sieste de prédateur», me dis-je ironiquement.
Il y a un je-ne-sais-quoi de tension palpable, de regards aux aguets.
Comme si j’étais dans une arène, voilà. C’est çà.
Ou sur une scène?
Je commence à examiner la plage avec la retenue de ceux qui ont peur de savoir.
Peut-être que les postures des corps allongés… manquent vraiment toutes de naturel?
Une raideur des attitudes… Et les silhouettes brunies et lisses, étendues sur les serviettes avec peut-être un peu trop d’affectation, de crispation… Trop…
Des corps trop bruns et trop lisses, oui, aussi. Inoxydables.
Musclés… Sveltes, bodybuildés, bronzés, galbés.
«Tout ce qu’il faut, là où il faut.»
Trop là où il faut.
Des visages unis, mats, juvéniles, des cheveux teints et coiffés à la dernière mode.
Dominant la brise iodée, l’odeur puissante des produits anti-solaires termine de me réveiller.
J’ai l’impression de m’être arrêtée en plein tournage, dans des senteurs de noix de coco, au milieu d’acteurs de publicité prêts à s’évanouir sous leur propre charme…
Une des baigneuses se lève en un geste à la fois sensuel et étudié, et à chaque pas sa longue chevelure dorée se soulève avec grâce sur sa silhouette de rêve. Un promeneur avance à longues foulées athlétiques le long des vagues. Il est mince et musclé, très séduisant, de belle stature. Il a peu près les mêmes proportions, d’ailleurs, que l’autre homme qui s’approche de ses enfants, là-bas, d’un pas alerte et conquérant.
Des enfants à bouilles d’ange, d’ailleurs.
Qui se trompent parfois en hélant leurs parents, tant la plage rassemble de ces êtres splendides, conformes les uns aux autres, s’imitant comme les perles nacrées d’un collier.
L’enfer est une coquille absurde et vide dans un jour de fournaise.
Je perçois à peine mes pieds se recroqueviller dans le tapis de sable, et les grains s’échapper encore une fois entre mes orteils.
Tous, tous ces gens sont d’une beauté insolente et factice, soins, implants, beauté plastique.
«Insupportablement sexy-postiche».
Modelés, refaits, calibrés… Parfaits.
Le carnet de l'auteure
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