Vanessa est immobile devant cette porte massive. Elle n’ose plus bouger. Elle sait pourtant qu’il faudra bien que dans quelques instants elle se résigne à appuyer sur la sonnette. Mais tous ses muscles sont tétanisés, paralysés par l’appréhension. Elle ne peut même pas ôter ses gants et son écharpe qui l’emmitouflent dans une chaleur maintenant oppressante. Elle sent couler le long de ses tempes et de son cou les gouttes de sueur.
Elle inspire profondément et entame lentement le compte à rebours.
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Tout a commencé il y a dix ans. Elle n’était alors qu’une adolescente paumée, comme bien d’autres. Elle allait sur ses dix-huit ans et ne supportait plus sa vie : la maison, ses parents, le lycée professionnel où elle apprenait son futur métier de coiffeuse. Tout lui semblait terne et insipide. Comme une automate, tous les matins elle se levait, déjeuner, allait en cours ; puis le soir rentrait, dînait et se couchait. Mais, tout, au fond d’elle, criait face à cette absurdité. Elle rêvait d’aventures, d’inattendu, de romance….
Elle l’avait vu à l’arrêt de bus. Il était beau comme ces acteurs de cinéma qui étaient affichés sur les murs de sa chambre. Il avait quelque chose de singulier. Elle n’aurait su dire quoi exactement, mais elle était tombée immédiatement sous le charme. Il ne leur avait fallu qu’une semaine pour faire connaissance et elle ne se souvient même plus comment elle avait atterri dans son appartement. Mais elle se rappelle cette sensation de liberté et de frisson. Tout s’était ensuite enchaîné à une rapidité vertigineuse : les cours auxquels elle n’assistait plus, le renvoie du lycée, la colère des parents, les valises faites à la hâte, la porte qui claque derrière elle.
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Neuf mois plus tard, elle se retrouvait seule dans la salle d’accouchement. Le prince charmant avait disparu aussi vite qu’il était entré dans sa vie. Ses valises à bout de bras et la graine dans son ventre, elle avait trouvé une place dans un foyer de jeunes mères célibataires. Là, elle avait appris à apprivoiser et aimer le petit d’homme qui grandissait dans sa chair. Mais la honte et la fierté l’avaient empêchée d’appeler ses parents à l’aide. Elle voulait se prouver, elle qui devenait mère, qu’elle n’était plus une enfant. Le jour de la naissance d’Hugo, elle avait ressenti un vide immense.
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Huit mètres carrés, c’est tout ce à quoi elle avait eu droit. Il y avait tout juste la place pour son lit, le berceau d’Hugo et le bureau où étaient à nouveau entassés les livres scolaires. Poussée par les éducatrices, elle s’était réinscrite au lycée, bien décidée à reprendre sa vie en main. Pendant deux ans, elle avait jonglé entre les biberons, les cours et les stages. A force de volonté elle était parvenue à décrocher son diplôme, mais n’avait eu personne avec qui partager sa victoire.
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Le salaire de son premier contrat ne volait pas très haut. 7€40 de l’heure. Le Smic. Cela avait pourtant été suffisant pour quitter le foyer et se trouver un petit appartement en ville. Vanessa était devenue une belle jeune femme responsable. Son travail appliqué et son bon contact avec la clientèle lui avaient assuré une rapide promotion dans le salon de coiffure où elle travaillait. Maintenant c’est elle qui formait les petites lycéennes en apprentissage. Hugo grandissait. C’était un petit garçon plein de vie et curieux de tout. Il était son rayon de soleil.
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Il y a six mois, Hugo lui avait demandé à brûle pour point pourquoi il n’avait ni père ni grands-parents comme ses copains. Vanessa était restée silencieuse, le regard perdu dans le vide.
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Depuis ce jour là, elle avait essayé au moins cinq fois d’appeler ses parents. Elle n’avait pas le droit de priver Hugo d’une relation privilégiée avec ses grands-parents. Mais à chaque fois elle avait reposé le combiné avant d’avoir fini de composer le numéro. Trop d’années avaient passées. Comment leur expliquer ses choix, ce qu’elle était devenue.
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Être quatre face à l’adversité serait sûrement plus facile. De toute façon, elle sait très bien qu’elle doit les revoir non pour Hugo mais pour elle. Maintenant qu’elle a réussi à avoir une vie stable, à construire un foyer pour son fils, elle a besoin de redevenir une enfant pour au moins quelques heures. Pouvoir se sentir choyer et aimer. Partager ses moments de doutes et de joies.
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Encore trois secondes avant le grand saut….
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Mais si c’était eux qui ne voulaient pas les accueillir tous les deux chez eux. Depuis une semaine, Vanessa ne dort plus. Les mêmes questions sans réponses tournent sans cesse dans sa tête. Elle revoit Hugo seul devant le sapin ouvrir les cadeaux tant attendus. La fête avait eu cette année un goût amer dont elle n’arrivait pas à se débarrasser.
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Elle s’était finalement décidée il y a à peine une heure. Dans la précipitation, elle avait confié Hugo à sa voisine et avait pris le bus. Derrière les vitres embuées, les rues de son enfance lui souhaitaient la bienvenue. Rien n’avait changé en dix ans. Et la voilà maintenant face à cette sonnette qu’elle n’ose réveiller.
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Ça y est ! Le moment est venu. Vanessa approche son doigt de la sonnette quand la porte s’ouvre. Dans l’encadrement, son père la regarde sans rien dire. Surpris de la trouver là. Sans la quitter des yeux, il appelle d’une voix timide sa femme. La tête de celle-ci apparaît derrière les épaules solides de son mari.
- Regarde qui est là.
Un instant le temps semble s’être suspendu. Personne ne parle mais les regards sont bavards. Et puis, la mère de Vanessa recule légèrement en entraînant son mari avec elle. Vanessa songe que sa voix n’a pas changé quand elle l’entend prononcer ces mots :
- Entre, il doit faire froid dehors. Je te sers un thé ? Avec deux sucres, comme d’habitude ?
Le carnet de l'auteure
Bouleversant, j'en suis tout retourné. Bravo Laurence, le texte est magnifique et plus encore, les mots me touchent le coeur !!
Rédigé par : Tubuai | 30/12/2005 à 09:07
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Rédigé par : MeiziTang | 18/05/2013 à 01:19