C’était une soirée de Saint-Valentin capitonnée de blanc. Mon valentin avait 4 mois et s’appelait Frédéric. Nous avions passé plusieurs heures à traverser l’appartement pendant que je murmurais des berceuses en collant ma bouche sur sa petite tête parfumée. Quand il a finit par s’endormir je l’ai gardé contre moi, dans le salon, le plus longtemps possible pour profiter de son odeur sucrée et de sa chaleur humaine. J’étais-là, à me dire que ce petit paquet d’amour me remplissait le cœur, quand j’ai vu ton visage à la télévision. La dernière fois que nous nous étions croisés, tu étais distant et froid. J’étais terriblement déçue. Jamais dans le passé tu ne m’avais fait cela. On était copains depuis si longtemps. Tu avais été le premier homme à me traiter en adulte au début de mon adolescence. Je t’aimais tellement.
Et là, tu crevais l’écran avec cette personnalité si touchante qui me plaisait depuis ma plus tendre enfance. T’avais ce sourire qui décape, celui qui laissait voir tes fossettes. T’avais cette présence sur scène qui me coupait en deux à toutes les fois. C’était toi. Le vrai toi de mes souvenirs plutôt que ce fantomatique personnage accroché à son téléphone que j’avais vaguement croisé quelques mois auparavant. Tu étais à nouveau ce drôle de bonhomme plein de vie et de charme. Et moi je te regardais, complètement captivée, assise sur le bout de mon divan, excitée à souhait, à un point tel que j’ai failli oublier le petit homme qui reposait dans mes bras. Je suis allée le déposer dans son lit et je me suis mise à t’écrire. Des pages et des pages d’encre verte sur du papier ligné. Je t’ai expliqué la vie au complet. Tout ce que tu représentais pour moi. Quand les parents de mon valentin sont arrivés, j’ai fourré mes papiers dans mon sac et la lettre est restée morte.
En mars cette année-là tu es parti tout seul noyer ta peine. Je n’ai appris qu’à la mi-avril que tu avais disparu. On t’a retrouvé quelques jours avant mon anniversaire et ma mère a hésité longtemps à me dire que tu t’étais défiguré dans l’eau du fleuve. Je crois que je l’ai su quand on m’a dit que tu avais disparu. Mais je ne voulais pas. J’ai été à ton service. J’ai écrit des lettres à ton frère pour m’expliquer ce choix de la mort. J’ai écouté Dead poet society en boucle pour m’approcher de ton état d’esprit final sans arriver à le toucher. J’ai écrit des kilomètres de lettres à ton attention que tu ne liras jamais et j’ai passé des heures devant Musique Plus à espérer que le vidéo passe. Ce qui ne fut jamais le cas.
Il y a quelques temps, j’ai croisé par hasard le chanteur que tu accompagnais à ce moment-là. Je lui ai parlé de toi et il se souvenait aussi de l’homme extraordinaire que tu avais été. On s’est échangé des souvenirs je lui ai parlé du vidéo. Il m’a promis une cassette.
Quand l’enveloppe est arrivée, les caractères étaient écrits en lettres majuscules.
Le carnet de l'auteure
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