Je dormis jusqu'au matin d'un sommeil d'enclume exténuée, me réveillai fort tard, sans savoir si le réveil ne s'était pas déclenché ou si je ne l'avais tout bonnement pas entendu.
J'en étais fort capable. En tant de crise les endormissements qui me saisissaient étaient de l'ordre de la léthargie sans que je puisse lutter. Je me demandais s'il s'agissait d'un atout imparable ou d'un handicap absolu puisqu’ainsi je dormais quand il aurait fallu être sur le pont.
D'ailleurs je bondis, réalisant que c'était jour d'école, que le petit serait en retard, et quelle heure pouvait-il bien être ?
Dans la cuisine, bien en évidence sur la petite table entre l'entrée et l'évier que surplombait la fenêtre avec vue sur les voisins, une feuille était posée. J'y reconnu l'écriture soignée de la grande qui m'indiquait t'inquiète, je me suis occupée du frérot, repose-toi bien maman, tu as l'air crevée.
Je devais donner mon premier cours en fin de matinée. Rien n'était donc perdu. Toilette et déjeuner sommaires puis filer à la fac, une question au fond du crâne, et mon mari, était-il seulement rentré puis parti trop tôt pour que j'en ai conscience ou nous avait-il quittés ? Je n'étais pas vraiment réveillée, et cette question me taraudait comme au fond d'une brume tenace ; j'accomplis dans cet état de semi-conscience mes tâches de la journée. Finalement c'était peut-être gage d'efficacité, comme je ne pensais plus, très peu d'idées venaient parasiter mon fonctionnement professionnel, resté celui-là en marche tel un pilote automatique enfin remis en route. Le souvenir de mon incapacité cuisante de la veille n’avait pas totalement disparu et j’étais soulagée qu’aujourd’hui mes vieux réflexes d’enseignante me secondent enfin.
Cependant de temps à autre cette question me revenait, Alain, mon mari, était-il ou non rentré ?
Mais même aux moments d'interclasses, elle ne me saisissait pas au point de me condamner à l'appeler. J'avais le vague souvenir de deuils douloureux où cette même inexistence cotonneuse m'avait prise, comme une défense naturelle contre une souffrance que je n'aurais pu supporter.
Par prudence, je décidai de ne pas abuser de cette grâce passagère et rentrai directement sans m'attarder à régler d'autres affaires courantes comme je le faisais fréquemment avec quelques collègues une fois les cours finis.
La maison était encore vide.
Le mardi, et nous étions mardi, le benjamin était pris en charge par la mère de son meilleur ami. Elle terminait tôt son travail ce jour-là et nous rendait ainsi un fort précieux service. Les grands étaient à leurs cours ou à leurs copains.
Comme la veille, je pris grand soin à faire tout ce qu'il y avait à faire, préparant même le paiement de factures fraîches arrivées du jour, au lieu comme à l'ordinaire d'attendre puis dépasser la date limite prévue. Je lançai ensuite la cuisson d'un dîner simple mais consistant.
C'est alors qu'enfin je repris un degré de conscience plus proche de la normale ; c'est la pensée de Laurence qui en premier revint, plutôt que celle de Jean-Denis qui m’avait si fortement accompagnée la veille ou surtout celle d'Alain qui finalement m'était restée tout au long du jour en bruit de fond persistant et à laquelle je m'étais déjà étrangement accoutumée. Je ne savais pourtant rien de ses intentions et elles étaient pour les enfants et moi de toute importance. Leur en avait-il parlé ?
Je passai dans la chambre alors que la grande marmite où cuisait la soupe mijotait doucement, y pris le livre que quelques temps plus tôt elle m'avait confié un soir de conférence avant de s'éclipser, discrète et fatiguée. Pourquoi le livre plutôt que le téléphone pour l'appeler, je ne saurais le dire.
C'était un roman. Il évoquait le combat d'une femme face à la maladie, mais sans constituer un témoignage à plat. Il s'agissait d'une oeuvre littéraire, humaine et élaborée.
Malgré le poids de mes propres soucis, je me sentis dés les premières phrases embarquée avec force. Peut-être aussi que rien n'est plus proche d'une souffrance imposée qu'une autre, celle de la maladie étant irrémédiable à moins de guérison, celle due à d'autres hommes un peu plus réversible.
Avant de m'abandonner au pouvoir des phrases, j'eus le réflexe cuisinier de mélanger la soupe et en contrôler le mijotage, puis celui plus littéraire de feuilleter l'ouvrage, dont le style me semblait familier. Je m'aperçus qu'en fin des pages, figurait une sorte de dédicace que Laurence m'avait destinée, signée, brève et sans date.
Les mots "JE T'EN PRIE, REVIENS" étaient écrits en lettres majuscules.
Ah diable, maintenant on voudrait la suite...
Rédigé par : fuligineuse | 18/12/2005 à 18:00
ben en plus que je me demande si avec cette fin ce n'est pas parti sur un virage polardant.
(cela dit, sauf surprise, je ne pense pas que la suite vienne avec "tout nu sur la paille", ça cadre trop pas ; la semaine d'après peut-être)
Rédigé par : gilda | 19/12/2005 à 02:17