A corps perdus
Ils s'étaient croisés dans la rue et avaient immédiatement senti que quelque chose les reliait. L'oeil de l'artiste a tout de suite vu sous les habits l'anatomie sculpturale de la danseuse. Elle, a su percevoir derrière le personnage bourru, les muscles saillants et la peau qui vibre de passion.
Il se sont arrêtés. Il lui a tendu la main. Elle l'a trouvée chaude et rassurante. Les mots étaient inutiles. Elle l'a suivi dans son atelier, a ôté un par un les tissus qui la dissimulaient, et ils ont mélangé leurs peaux et leurs arts. Le temps semblait être suspendu. Dans le plus simple appareil, elle se mit à onduler au rythme de la musique. Il prit alors ses instruments et tenta de graver dans la pierre et sa mémoire, cette beauté incomparable.
Ces séances n'étaient interrompues que quand le désir était trop fort. Alors, toujours aussi silencieusement, ils s'approchaient l'un de l'autre et savouraient pleinement la chaleur de leur corps soudés. Et leurs arts prenaient une autre dimension : ils créaient d'autres sculptures, d'autres chorégraphies, vivantes, vibrantes et toujours changeantes. Puis, quand chaque atome de leurs êtres était suffisamment ivre d'amour charnel, ils se séparaient enfin pour retrouver qui sa musique, qui ses outils. Mais c'était toujours la même élan qui les animait.
Une semaine passa ainsi. Un mois peut-être. Sans qu'un mot ne fut échangé.
Un matin, quand elle se réveilla, le lit était déjà vide. Elle entendait les coups de burin sur la pierre. Les yeux encore chiffonnés de sommeil, elle se leva pour aller l'embrasser et reprendre sa danse inachevée, mais quelque chose attira son regard.
Tous les murs de l'atelier étaient recouverts de peinture. Elle se posta au centre de la pièce et tourna sur elle même pour admirer l'oeuvre dans son ensemble. Puis, elle s'approcha tendrement de lui, et murmura à son oreille : « Moi aussi ».
Sur les murs, les trois mots qu'ils ne s'étaient jamais dits étaient écrits en lettres majuscules.
Le carnet de l'auteure
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