Il fait noir.
J’ai l’impression de flotter hors de mon corps. Il n’y a rien à quoi je puisse m’accrocher : ni lumière, ni son. Je ne sens même pas l’air qui m’entoure. Je ne sais plus qui je suis, ni où je suis. Le temps semble s’étirer indéfiniment….
J’ai entendu un bruit, j’en suis sûre. Si je me concentre, peut-être que… non, le silence est revenu, aussi opaque qu’avant. J’ai l’impression d’être une voix dans le néant.
Non, il ne faut pas que je cède à la folie. Je dois encore me concentrer. Ce bruit, je ne l’ai pas rêvé.
Ça y est, il est là. Mais il semble tellement lointain. On dirait qu’il est atténué, comme un chuchotement. C’est un son très régulier, comme le métronome qui est posé sur mon piano. Est-ce le métronome ? Suis-je chez moi ?
Mais non, réfléchis, ça ne peut pas être le métronome : il est cassé.
Il est cassé ? Quand est-ce qu’il s’est cassé ? C’est affreux, j’ai de la purée de poix à la place du cerveau. Je n’arrive pas à mettre de l’ordre.
Le métronome, donc. J’ai effectivement l’intime conviction qu’il est cassé. Mais comment ça s’est passé ? Je dois absolument faire un effort pour m’en souvenir.
Le vide m’a avalée une fois de plus. Combien de temps cela a-t-il duré ? Écoute ! Le bruit est toujours là, aussi régulier. Ah oui, j’essayais de me souvenir du métronome.
Je jouais du piano, l’aiguille marquait le rythme. Et puis le téléphone a sonné. J’ai arrêté l’aiguille d’une main et j’ai décroché le combiné de l’autre. Qui était au bout du fil ? Je n’arrive pas à me souvenir de la voix, mais bizarrement les mots sont restés gravés : « Il faut en finir. Il n’y a pas d’autres solution… »
Mais bon dieu, à quoi cette voix fait-elle référence ! En finir avec quoi ? Avec qui ? Je suis sûre que si je comprenais, j’arriverai à savoir où je suis et ce qui m’est arrivé !
Concentre-toi, accroche toi à ce que tu perçois. Le bruit est toujours là. Il doit bien y avoir autre chose que ce foutu son. Je dois mettre tous mes sens en éveil. Allez, un effort. L’odorat bien sûr ! Qu’est ce que je sens ? C’est âcre, assez désagréable. On dirait…une odeur de roussi. Oui, c’est ça, de cochon grillé même.
Est-ce que j’ai laissé le feu sous la cocotte ? Non. Ce n’est pas ça. J’ai tout éteins en sortant de chez moi.
Donc je ne suis pas chez moi. Bien. Mais où je suis alors ? Pourquoi je suis sortie de chez moi ? Où est-ce que j’allais ? C’est ce coup de fil qui m’a poussé à m’aventurer dehors ?
Je me souviens avoir pris la voiture. Mes phares avaient du mal à éclairer la route à cause du brouillard. J’étais pressée.
Mais pressée d’aller où ? En pleine nuit ? Ça n’a décidément pas de sens. Rien n’a de sens. Et ce putain de bruit qui continue. C’est insupportable, lancinant. Si au moins j’arrivais à en déterminer l’origine….
Donc j’ai pris ma voiture. J’ai eu un accident, c’est ça ?
Non. Je me rappelle maintenant très bien m’être garée sur le parking du labo. Mais ce n’est pas logique. Pourquoi serais-je allée au labo en pleine nuit ?
« Pour en finir ! ». Mais bien sûr ! C’est ça ! Ça y est, je me souviens !
Le coup de fil, c’était Jacques. Il m’annonçait que les résultats de nos dernières expériences étaient absolument terrifiants, qu’il fallait tout effacer avant que ça ne tombe entre de mauvaises mains.
Ça y est, la mémoire me revient, tout s’éclaire. Je suis partie de chez moi en catastrophe pour aller au labo. Une fois sur place, j’ai répandu de l’essence sur toutes les cultures puis j’ai allumé l’ordinateur pour reformater le disque dur. Tout était silencieux, tout se passait bien. Et puis au moment de partir, je me suis prise les pieds dans les câbles. Il y a eu un court circuit et tout est allé très vite : les flammes ont envahi la pièce exiguë.
Mais alors ? L’odeur de cochon grillé ? C’est moi ? Ok, pas de panique. Reste concentrée. Bon, le labo a pris feu. Normalement, le système d’alarme a du se déclencher. Donc au pire, les pompiers vont arriver dans 5 minutes. Je pense toujours, donc je ne suis pas morte.
Mais ce bruit ? Qu’est-ce qui peut faire ce bruit dans le labo ? Tiens, le rythme change. Il s’accélère. On dirait qu’il devient fou.
Et si j’étais restée inconsciente plus de cinq minutes ? Et si les pompiers étaient déjà arrivés ? Alors ce bruit… Non, je refuse que ce soit ça. Ça ne peut pas être ça ! A ce rythme là, je ne pourrai pas m’en sortir vivante. Ça ne peut pas être mon électrocardiogramme !
Le bruit… il ne bat plus, ce n’est plus qu’un long sifflement. Non ! Je ne veux pas, je…
Le carnet de l'auteure
ça me plait beaucoup
digne des "grands"auteurs
je reste sur ma faim: est ce la fin? y a-t-il une suite?...
Rédigé par : Babou | 30/10/2005 à 04:10
Joliment construit ! J'aime beaucoup.
Rédigé par : Sok | 30/10/2005 à 08:37
Merci vous deux... ;)
Rédigé par : Laurence | 30/10/2005 à 10:30
J'ai lu ce texte comme on un thriller… sans quitter l'écran des yeux… d'une seule traite… en accélérant parfois ma lecture… (exactement comme je le fais quand je lis un bon polar)
J'ai beaucoup aimé. Je trouve assez remarquable de brosser une telle atmosphère en si peu de lignes.
C'est là toute la difficulté et c'est ici parfaitement maîtrisé.
En écho aux commentaires précédents : à quand une suite ? Que devient Jacques dans cette affaire ?
Rédigé par : obni | 30/10/2005 à 12:06
Merci beaucoup Obni. Ce sont là de très beaux compliments qui me vont droit au coeur.
La suite, la suite... décidément tout le monde n'a que ce mot là à la bouche en ce moment.
Honnêtement pour l'instant je n'en sais rien. L'avenir nous le dira.
Rédigé par : Laurence | 30/10/2005 à 14:14
Excellent en effet... moi, c'est pas la suite que je veux lire, mais comment le tout à commencé ! C'est quoi les résultâts des tests ? Quels genres de tests ?
Rédigé par : Jef... | 30/10/2005 à 17:25
Je tique un peu sur la toute fin parce que justement quand on en est là ça m'étonnerait qu'on se dise encore grand chose,
n'empêche l'ensemble tient la route.
Rédigé par : gilda | 31/10/2005 à 06:21