Dans cette course sans fin que constituait ma vie, l'accalmie arriva de façon subite. Ce fut en février. J'avais prévu une pause pour les congés scolaires, sans trop pour le moment y jeter de projets.
Les enfants seraient en vacances et moi aussi. Même le mari avait envisagé la chose, pas cependant au point d'engager les démarches pour nous louer une place. La montagne eît été logique ; nous ne skions pas, mais les enfants si.
Justement. Les grands sentant venir une vacuité probable se révélèrent fins stratèges et organisateurs. Ils se répartirent habilement chez leurs amis respectifs et suffisamment fortunés pour aborder un domaine skiable avec la place pour un invité.
Sa grand-mère, ma mère, réclama le plus jeune, qu'elle n'avait pas vu depuis trop bien longtemps affirma-t-elle. Lequel ne dit pas non, à condition que son ami Thomas l'accompagne, qui ne se le fit pas dire deux fois, pas plus que la grand-mère, et voilà le petit qui s'envolait également, alors que je m'étais réjoui de lui offrir du temps commun.
Sur ce, le mari, estimant sans doute qu'à moi seule je ne méritais pas si grand effort, estima plus sage de reporter ses congés.
Je me retrouvai donc avec deux longues semaines devant moi, peu de travaux à fournir puisque je m'étais organisée pour un temps de liberté, aucun rendez-vous professionnels ni cours à donner.
Paris pour moi seule, finalement enfin. Non sans un petit serrement de coeur face à cette solitude si déconcertante.
Je téléphonai non sans empressement à Jean-Denis, que je n'avais pas vu depuis la Tour Eiffel. Il me répondit avec une distance que je ne lui connaissais guère, mais accepta très vite le premier rendez-vous que je lui proposai. Je cru l'avoir dérangé en plein travail et de sa froideur ne me formalisai guère. J'étais moi-même peu amène quand tel était le cas, et puis de toutes façons nous allions nous voir.
J'appelai ensuite Laurence non sans appréhension. Mais son téléphone fixe sonna sans qu’elle décroche ; sans non plus qu’un répondeur s’enclenche. Je pris alors le temps de lui envoyer par le net un long message, lui témoignant de toute mon affection et mon temps retrouvé.
Les quelques jours qui nous séparaient du rendez-vous avec mon amant passèrent de manière agréable, mais non sans une tristesse de traîne que je ne m'expliquai pas. Ayant depuis longtemps négligé ma maison et profitant des absences familiales, je rangeai avec un bon sentiment du devoir accompli, mitonnai en journée des petits plats que nous dégustions mon mari et moi le soir. Ces jours furent doux et paisibles.
Quelque chose cependant manquait.
Qui n'était pas que l'agitation des enfants.
Mon message écrit étant demeuré sans réponse, je tentai un nouvel appel vers Laurence, cette fois sur son cellulaire, qui en son absence persistante accepta que j'y dépose quelques mots contrits où je lui confiai l'espoir qu'on se revoie enfin.
Il demeura sans réponse, ce qui à Laurence ne ressemblait pas. Pas plus après tout que ne me ressemblait de l'avoir laissée tomber sans explications après qu'un amant et un succès professionnel aient pris place dans ma vie.
Vint enfin le jour attendu du rendez-vous avec Jean-Denis. Je m'efforçais d'en éprouver de l'allégresse, mais bizarrement elle ne venait pas. Je noyai cette impatience inquiète dans quelques activités ménagères et de l'approvisionnement. C'est en rentrant de celui-ci que je vis clignoter le voyant d'appel de notre répondeur téléphonique. Je l'enclenchai machinalement. La voix d'un Jean-Denis affreusement impersonnel me disait brièvement impossible pour moi de venir, je te rappellerai.
Rien ne trahissait un malheur, ni non plus un regret.
Etrangement sa défection ne me surprenait pas. Elle semblait scellée avec le rendez-vous même, comme s'il l'avait délibérément accepté en connaissance de cause afin de s'épargner toute explication.
En cette semaine solitaire, la déception me déstabilisait plus que je n'aurais voulu l'admettre. Je décidai énergiquement d'occuper au mieux le temps libéré et composai une nouvelle fois le numéro de Laurence. Son poste fixe sonnait toujours en vide. Quant à son portable, sa messagerie à présent saturée indiquait qu'elle n'acceptait plus rien et me conseillait, d'une voix à peine moins incarnée que celle de mon (ex?-)amant de rappeler ultérieurement.
Gagnée d’une inquiétude montée en mayonnaise par un remord vainqueur, je me précipitai littéralement sur mon ordinateur où je lui composai un message maladroit mais sincèrement angoissé.
La réponse fut instantanée :
"OVER QUOTA".
Quelle que soit la raison du silence de mon amie trop longtemps négligée, nos outils de communications me signifiaient en coeur qu'il était trop tard, qu'on ne pouvait agir avec les êtres humains comme avec les livres, les poser sur une étagère en cours de chapitre pour en reprendre la lecture à meilleur disponibilité.
J'encaissai le coup. Ce fut très physique. Passé la vague du malaise, j'allais dans la salle de bains me passer le visage à l'eau froide.
Dans le couloir y attenant le voyant rouge à présent fixe me rappela au raisonnable. Sans chercher à mentir sur une page personnelle probablement déjà tournée à mon insue, il était inutile de laisser des traces trahissantes et qui pourraient blesser.
Dans le silence têtu de l'appartement vide, je ré-écoutai l'appel de celui qui avait si bien soigné mon corps durant les mois passés, et tentai en vain de percer le sens réel de paroles si sèches et comme atonales.
Enfin, j'appuyai sur "DELETE", non sans arrières-pensées.
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