A la maternité, Tiphaine était en salle de travail: Son bébé devait naître en siège, tête en haut, en une inévitable majesté.
Et l’anesthésiste qui n’arrivait pas!
Les contractions étaient rapprochées, puissantes: une force incontrôlable et pourtant surgissant des entrailles.
Sylvain posa ses mains sur le ventre durci, tentant de ne pas laisser cette force emprisonner sa femme et son enfant en une boule de crampe qui les éloignerait de lui.
Par leurs caresses, ses mains créaient la seule échappée possible à cet enfermement douloureux: comme si elles brisaient la surface d’une eau en train de se durcir sous le gel.
L’anesthésiste ne venait pas et l’enfant était impatient de naître.
Tiphaine cherchait à garder le dernier lien avec le monde précédant son chaos intérieur, elle essayait de ralentir cette condensation de l’espace du corps. Le monde «d’avant» savait apprivoiser le souffle et les phrases, et à présent il palpitait seulement là, réduits en mots brefs –mais en mots tout de même- il survivait juste sous les paumes larges et lisses de son bien-aimé. Ailleurs, hors de ce monde connu, montait le grondement et les gémissements sans langage d’une préhistoire étrangère et vertigineuse. Elle avait peur de ne plus maîtriser le rythme de plus en plus rapide qui s’emparait de son corps, qui l’habitait et qui lui volerait peut-être son identité dans la sauvagerie de la douleur.
Quand Sylvain se pencha vers elle pour l’embrasser, Tiphaine fut brusquement submergée par son parfum masculin et se sentit immédiatement envahie par une émotion intense et sensuelle. En riant malaisément, le souffle oppressé, elle lui demanda de se rapprocher encore, saisit le torse viril avec passion, et respira goulûment la senteur poivrée de ses aisselles. Cette ivresse animale la détendait et dirigeait son attention au-delà d’elle-même et des contractions impérieuses.
L’anesthésiste arriverait trop tard, signala la sage-femme en entrant à nouveau dans la pièce, le processus était déjà trop largement entamé.
Tiphaine demanda alors à Sylvain si elle pouvait l’embrasser dans le cou; elle pourrait s’étourdir encore des senteurs de sa chair, velouté délicat où flottait encore les marques d’un parfum.
Il s’inclina vers elle comme un lion offrirait sa nuque aux reflets d’une eau frissonnante.
Et l’eau s’abreuva du musc de sa peau.
Le carnet de l'auteure
j'aime particulièrement ceci :
"et qui lui volerait peut-être son identité dans la sauvagerie de la douleur."
c'est exactement ça.
Rédigé par : gilda | 03/09/2005 à 18:35