On est généreux. On leur donne le fond de nos poches avec
quelques boules de sécheuse en leur faisant promettre de ne pas les rouler dans
du papier à cigarettes. On leur donnerait plus, mais on a besoin du reste. On
ira pas jusqu’à leur donner la main; ils sont toujours un peu sales. On
voudrait qu’ils soient propres, qu’ils soient bien coiffés, qu’ils soient
polis, brillants, articulés, et quand ils le sont, on ne leur donne plus rien
car ils semblent s’en être sortis. S’ils sont trop comme nous, on leur botte le
cul, on leur dit que la rue n’est pas leur place, que le béton est réservé à ceux
qui ont une joue collée dessus, l’autre sous une semelle de policier. Alors ils
restent souillés, déchirés, marqués. Ils creusent, se terrent. Ils font des trous. Des trous dans leurs vêtements, des trous dans leurs murs, des trous où ils restent
assis, bien blottis contre une fille aux yeux trop rouges, contre deux ou trois
chiens aussi pouilleux qu’eux, contre une société dont ils sont un reflet
aveuglant. On leur lance parfois de la monnaie mais on ne leur donne rien; on
s’achète la liberté de ne pas se sentir concernés.
Ils se rassemblent dans des endroits glauques et visqueux
comme des mouches dans le coin d’un oeil malade. Ils tendent la main pour ne
pas tendre le doigt, et ils crachent sur nos tôles chromées pour se faire croire
qu’elles ne leur rouleront jamais dessus. Ils revendiquent des territoires en
se criant des injures, en s’arrachant les anneaux des oreilles, du nez, des seins,
puis montrent leurs cicatrices pour prouver qu’ils existent. Ils nous regardent
par en dessous comme des enfants qui ont hâte d’être grands pour se venger. Ils
nous regardent par en dessous au moins aussi souvent qu’on les regarde de haut,
d’où on laisse tomber des verdicts hâtifs, pressés d’en finir, comme des obus d’une
guerre illégitime.
Le soir, pendant qu’on se cache, qu’on s’éteint derrière des
écrans, ils avalent n’importe quoi pour oublier qu’ils nous haïssent jusque
dans leur noire moëlle. Et sous une tonne de vapeur, camouflés derrière des
sirènes qui annoncent des jugements en uniforme, à l'orée de la surdose, ils marmonnent des
incantations inintelligibles, des prières de colères dédiées à un ciel bas
comme le plafond d’un demi sous-sol.
Les parasites ne croient plus en nous,
parce qu’on appelle toujours la police quand ils crient à l’aide. Ils tètent
notre argent, pas nos bons sentiments. Aucune sangsue ne suce un cadavre.
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