Elle monte l’escalier en double hélice du château de Chambord quelques marches devant moi. Je l’avais remarquée une première fois recevant avec un grand sourire le prospectus publicitaire qu’une sorte de hussard monté sur un bel alezan avait tiré de sa botte. Ensuite, elle m’avait presque bousculée en avançant le nez en l’air dans la cour et quelques instants plus tard, c’était moi qui avais sans vergogne obstrué son champ de vision en cherchant à déchiffrer un panneau d’information.
C’était une touriste nipponne, modèle standard. Pas d’excentricités, vêtue « sportswear », appareil photo numérique en main et lecteur MP3 en sautoir. Une jeune femme tout à fait ordinaire, et à vrai dire, complètement anecdotique.
Mais dans ce marathon touristique qui nous menait depuis plusieurs jours de château en château dans le val de Loire, sa seule présence avait d’un coup expédié mon cerveau un peu saturé de généalogies royales et d’intrigues de cour sur les chemins creux des pensées buissonnières.
Au diable les prouesses architecturales de Leonardo et l’exploitation du menu peuple au profit des caprices de François 1er .
J’avais depuis quelques minutes quitté Chambord pour l’autre côté de la planète, et me berçais du défilé de mes fantasmes nippophiles. Je découvrais déjà, au-delà des balcons de pierre, des jardins de cerisiers en fleurs semant une pluie de pétales dans la brise légère. Le duc de Guise succomberait sous la lame d’un Katana manipulé par quelque guerrier à l’armure terrifiante, et Marie de Médicis serait pendue au plafond par Nobyoshi Araki. Force m’est de reconnaître que ma connaissance du Japon est fragmentaire et constitue sans doute ma plus belle enfilade de clichés. Et de fait, au troisième jour de cet épuisant périple culturel, au sein de ce groupe saturé d’enseignants en plein peaufinage de savoir encyclopédique sous la houlette d’un thésard de la Sorbonne, ma capacité de discernement s’effritait à grand pas.
C’est dans la salle de l’angle nord-ouest que tout a basculé : le château accueillait des installations d’art contemporain, et lorsque je rentrai dans cette pièce, je découvris une ambiance inspirée des romans cyberpunk, et toute une théorie d’ordinateurs saturait l’espace dans lequel on trouvait sur un futon, au milieu de bouteilles de bière, une YT en string clouté.
Je me retrouvai assis dans l’embrasure d’une porte, sourd au brouhaha de la foule des visiteurs, aux couinements des ordinateurs et au son d’un téléviseur passant en boucle une scène de « Lost in translation ». La touriste Japonaise n’était plus là, et moi-même, j’avais du mal à comprendre ce que je faisais dans ce château, dans ce voyage. Naufragé dans cette mascarade de consommation touristico-culturelle, je ne voyais plus que ce lit japonais, comme un radeau inaccessible.
j'aime beaucoup.c'est fluide,un régal
watjp
Rédigé par : watjp | 08/09/2005 à 17:18
Et touchante histoire de la géographie des sens (où toute boussole est égarée!)
Rédigé par : catz | 09/09/2005 à 10:08
Merci ! je me trouvais un peu léger, en relecture après soumission.
Disons que j'aurais pu fouiller davantage ce qui neme semble qu'évoqué.
Rédigé par : Jacques | 10/09/2005 à 15:35
Alors, c'est donc vrai que ces voyages sont saturés d’enseignants en plein peaufinage de savoir encyclopédique !?
Rédigé par : Oncle Dan | 10/09/2005 à 16:30
Je ne sais pas, mais accompagnant mes parents, non pas en val de Loire mais à Florence, il y a quelques années (23 ans exactement), dans un voyage "arts et vie" (je crois), avec un thésard en histoire de l'art comme guide, j'en ai un souvenir d'intensité. Passionnante aussi, mais, pièce rapportée dans cet aéropage de profs, je me trouvais en décalage : pour la première fois, je n'étais plus lycéen (donc machine à apprendre parce que le bac arrive) mais étudiant en informatique, donc cherchant à acquérir des repères pour le plaisir de me sentir moins ignorant. Mon but était donc d'acquérir des repères, de regarder, d'en assimiler un peu, d'humer l'air de la ville et des monuments, alors qu'une majorité de participants voulait en voir un maximum. C'est cette voracité que j'ai voulu évoquer mais complètement ratée dans ce texte.
Rédigé par : Jacques | 11/09/2005 à 12:32