Je n’avais pas prévu d’aller sur la Tour Eiffel.
En me levant ce matin-là, je n’y pensais pas un seul instant.
Ma journée était balisée, réunions de travail, une brève très tôt en comité réduit, une plus longue de milieu de matinée et qui risquait fort de nous manger le repas.
J’avais ensuite une note à préparer d’urgence pour des collègues canadiens, l’urgence étant de mon fait et pas du leur puisqu’ils m’avaient sollicitée dans un délai raisonnable, mais que j’avais tardé jusqu’au dernier moment, accaparée par ma vie.
J’avais décidé de la rédiger chez moi. Les enfants étaient qui à l’école, qui au lycée et risquaient donc moins de me déranger que les collègues avec lesquels je partageais un bureau collectif à l’université. Il me fallait de l’efficacité.
C’était compter sans les effets émollients des activités matinales, qu’un déjeuner léger suivi d’un café serré que je me préparais dés en rentrant n’étaient pas parvenus à dissiper.
J’étais motivée à être efficace : l’aîné étant dûment chargé d’aller chercher son petit frère à l’école, j’avais prévu en fin de journée de retrouver Laurence, que je n’avais pas vu depuis si longtemps.
Elle avait pris l’initiative de nos retrouvailles, me téléphonant finalement pour les vœux du tournant de l’an alors que je m’apprêtais pour ma part à lui envoyer une carte hésitante. Je lui en savais gré et avais accepté aussitôt le premier rendez-vous qu’elle me proposait, sans se formaliser aucunement de mon silence prolongé dés lors que je la rassurai sur mon existence, ma santé et celle des miens.
Entre temps les Canadiens s’étaient intercalés, en plus de mon travail courant. J’étais victime de mon succès.
Elle fut victime de mon inorganisation.
Je corrigeais un paragraphe, m’efforçant à la hâte mais m’échappant un peu – oserai-je parler de Jean-Denis à Laurence alors que nous avons perdu par ma faute cette intimité précieuse de l’amitié quotidienne ? -, quand mon téléphone sonna.
C’était lui. J’y vis un signe, rêvai immédiatement à un rendez-vous dans les jours à venir, la période des fêtes remplie d’obligations familiale s’étant confirmée peu propice à nos retrouvailles câlines, fus déçue quand il me demanda simplement :
- Serais-tu libre à l’instant ?
Je répondis aussitôt communication, faculté, urgent, tu sais les vestiges normands, Canada, rendez-vous avec une amie.
Il poursuivit imperturbable : - Ce serait pour monter sur la Tour Eiffel.
Puis, ce qui était un peu méprisant pour le mien qu’il avait si peu considéré :
- C’est pour mon travail. Je dois en portraiturer les rivets. Enfin pas tous. Justement il restera du temps et je me disais que se serait sympa si …
Je l’interrompis :
- Mais nous sommes en janvier !
Il sut qu’il avait gagné :
- Passe donc prendre une parka chez moi, j’en ai qui ont fait le pôle.
Jean-Denis gagne sa vie comme photographe, notamment pour des revues techniques, et parfois qui l’emploie l’expédie sur de lointains et dangereux chantiers. Les conditions extrêmes, il est équipé pour. A fortiori, ce n’était pas une petite Tour Eiffel, même par temps d’hiver qui risquait de le refroidir.
Je déplaçai mentalement le Canada derrière la Tour Eiffel, priai pour que Laurence ne voit pas d’inconvénient à ce que notre rencontre soit retardée et écourtée, mais sans chercher dans ma hâte le courage de la contacter, sauvegardai mon fichier en cours, attrapai mon manteau et filai.
Une déception m’attendait, Jean-Denis n’espérait de mon passage chez lui rien d’autre que l’échange entre mon vêtement parisien et un équipement hors gel et solide. Son matériel de prise de vues était fin prêt et lui déjà piaffant d’être à pied d’œuvre.
La Tour était telle qu’en mon souvenir lointain de Parisienne qui n’y va jamais à moins d’accompagner lointains parents, enfants petits, ou amis courageux de Province à une visite obligatoire, et qui dés qu’elle le peut tente de les dévier vers le Louvre.
Un miracle d’équilibre et d’élan calme ; d’un chantier imaginaire, la reine des grues.
Un ingénieur nous accompagnait pour la visite et indiquait à Jean-Denis les pièces les plus propices à la mise en valeur des assemblages réalisés. Contre toute attente, je fus captivée.
J’admirais les rivets et l’homme qui prenait tant de peine à témoigner du labeur d’ouvriers anciens.
Quelques réglages de lumières et l’usage nécessaire d’un projecteur, la nuit tombe si vite en hiver, prirent plus de temps que prévu. Et ce fut les doigts gourds que je tapai un texto maladroit pour prévenir Laurence qu’il me serait impossible de venir à notre rendez-vous, que je lui enverrai un mail plus tard.
Paris était si belle de là-haut. J’en oubliai le monde et le chagrin probable de ma vieille amie.
Un grand sourire de Jean-Denis, me fit comprendre qu’il en avait terminé.
Nous fûmes heureux de retrouver la chaleur du métro. Plus heureux encore de retrouver celle de son appartement, puis celle de son lit. Je n’avais pas su n’enlever que la parka.
Je rentrai chez moi, pour une fois un peu honteuse. Les enfants habitués à mes horaires lourds et irréguliers, s’étaient débrouillés pour dîner. Leur père lui-même n’était pas encore rentré. Je nous bricolais quelque nourriture, l’appétit coupé par la pendule devenue menaçante pour le travail négligé.
Je m’y remis aussitôt. Le mari rentra, me déposa un bref baiser accompagné d’une mimique tu-travailles-trop, à laquelle je m’empressai, mais non sans rougir un brin, de répondre par sa cousine et-toi-tu-as-vu-à-quelle-heure-tu-rentres, en toute conscience de ma mauvaise foi cristalline.
Ensuite, comme pour compenser, effectivement je travaillai trop. Et réussis à envoyer les documents requis à 00 h 57, heure de Paris et de presque fin d’éclairage de sa Tour emblématique.
Je vis sur mon téléphone portable que Laurence avait répondu à mon texto et depuis un moment déjà, mais n’eus pas la force de le lire.
Ce n’est qu’en m’allongeant dans notre chambre auprès d’un homme ronflant, que m’effleura la pensée qu’au téléphone quand elle avait appelé pour me proposer qu’on se retrouve, elle n’avait pas une très bonne voix.
Le sommeil me saisit comme on sombre, sur cette morsure d’inquiétude.
Elle a beaucoup de patience ton amie Laurence. A sa place, je laisserais tomber cette amitié qui manifestement te pèse. Mais je ne suis pas Laurence.
Quel dommage ! L'amitié est un don tellement merveilleux !
Rédigé par : Claire | 15/09/2005 à 08:13
oh merci Claire d'avoir pris la peine de lire un texte une nouvelle fois trop long.
dans la mesure où il s'agit de fiction, personne ne laissera tomber personne, mais ton commentaire est très intéressant pour la suite.
Il va falloir que je laisse infuser. Peut-être qu'il ne sera pas sans conséquences, qui sait ?
Rédigé par : gilda | 15/09/2005 à 18:50