Il y avait Thomas, Alice et moi. Thomas, c'était le genre de type charismatique, mais qui finissait par taper sur les nerfs parce qu'il parlait trop. Alice, elle, était plus jeune de quelques années. Elle finissait son cégep, avec sa tendance à tout critiquer. Cela aussi finissait par taper sur les nerfs. A moi, en tout cas. Ce n'est pas que je n'aime pas débattre, c'est que j'aime pas m'obstiner pour des conneries, surtout quand il s'agit de végétarisme. Thomas et Alice s'étaient fréquentés, six mois auparavant, mais l'histoire s'est terminée assez brusquement quand Alice a su que Thomas avait baisé une fille qui restait dans le même bloc que lui deux jours avant de lui dire "je t'aime". J'avais trouvé cela con de sa part, dans un sens, et de l'autre, je crois que je n'aurais pas fait mieux, parce que la fille du 230 Jeanne d'Arc App.8 avait tout pour attiser les fantasmes les plus vulgaires. Mais Alice était plutôt jolie, avec ses yeux clairs et ses lèvres aussi alléchantes qu'un fraise fraîche, et elle avait de particulier cette passion de vouloir changer le monde, et de vouloir le connaître entièrement, qui faisait que l'on s'attachait à elle, soit parce qu'on était de la même trempe, soit par une espèce de compassion un peu paternelle, comme si on eut automatiquement envie de la protéger.
Nous étions donc tous les trois, sur la terasse du Café d'Avignon, moi endurant le vin maison et fumant mes Peter Jackson, à défaut des DuMaurier devenues hors de prix, Thomas devant son éternelle bière avec ses Camel (il avait reçu un gros héritage de son grand-père, lui). J'avais remarqué qu'Alice était plutôt mal à l'aise, depuis le début de la soirée. C'était peut-être qu'elle avait arrêté de fumer, il y avait environ six mois, et que l'envie se saisissait d'elle comme un crabe qui lui aurait pincé le bout des seins. Ou peut-être encore était-elle incomfortable devant Thomas, qu'elle n'avait pas revu depuis quelques mois déjà? Elle s'était installée à Québec, après son cégep, pour poursuivre ses études en géomatique. Elle déposa son bol de café, se leva et se dirigea vers les toilettes. Thomas l'obervait.
- Tu ne trouves pas qu'elle a prit du poids, la jolie Alice?
- Ouais, j'ai remarqué ça aussi. Elle semble triste aussi, ou j'sais pas.
- Elle est peut-être pas bien, à Québec. J'te jure, elle aurait dû rester ici et sortir avec moi!
- Ta gueule, Thomas. Je pense que c'est justement pour pu voir ta face qu'elle est partie.
- Hey wooo. C'est pas pour...
La serveuse est venue changer le cendrier, reprendre la bière vide de Thomas, et lui en offrir une autre, qu'il accepta.
- C'est pas pour une...
Alice revint, et il s'interrompit.
- T'as pu de bière, Thomas?
- Elle m'en amène une autre.
- Me semblait, répondit-elle en m'adressant un clin d'oeil qui me fit sourire.
- Dis donc, Alice, t'aurais pas engraissé un peu, toi, depuis que t'es à Québec?
C'était le genre de chose que l'on pouvait dire à Alice. Elle n'allait pas répondre par un "va chier", non, elle aurait répondu "oui" ou "non" ou "peut-être, je sais pas, peut-être que je mange trop ou je bouge pas assez". Sauf qu'elle ne répondit rien de cela.
- Oui, Thom, c'est parce que je suis enceinte!
- Hein! m'exclamai-je. Ca fait combien de temps? De qui?
- Ca fait six mois, répondit-elle en regardant Thomas, qui avait les yeux ronds comme l'élastique d'un condom.
La chute étant prévisible, c'est bien la dernière image qui m'a emballé le plus...
Bravo, fallait y penser !
Rédigé par : Hervé G. | 22/08/2005 à 18:50