Six mois, ça fait bien ça.
Aujourd’hui même, j’en suis certaine. Son premier message laissé sans réponse date du jour où Jean-Denis et moi sommes devenus amants.
C’était en mai.
Pourquoi je me souviens de ça, je ne sais plus bien, je veux dire pour le message.
Pour Jean-Denis, c’est évident, j’ai beau avoir eu mes chances en séduction, ce n’est pas anodin et à mon âge, passé 40, moins qu’autrefois.
Le message non plus, sans doute. Mon amie Laurence qui me l’avait envoyé, y semblait triste, même si elle le cachait et m’écrivait pour tout autre chose, joignant un document dont elle pensait avec raison qu’il pourrait m’être utile au travail.
Je ne l’en ai même pas remerciée. Ni consolée de son chagrin taiseux.
J’étais trop occupée, trop surprise aussi de ma bonne fortune. Je connaissais Jean-Denis depuis un bon temps déjà et il me plaisait bien. J’avoue que personnellement pourvue par ailleurs et le supposant heureux d’amours, je ne pensais pas auprès de lui à jouer le rôle d’une femme.
Nous nous entendions bien, travaillions parfois ensemble, nous voyions en dehors à l’occasion. Le plus souvent au café le temps d’en prendre un.
Cet après-midi-là, nous y étions quand il m’a proposé un appareil numérique afin de prendre quelques photos lors d’un week-end où je partais comme d’habitude sans songer au moindre équipement. Je devais aller en Normandie avec ma famille et n’allais pas manquer d’y croiser même par inadvertance quelques-unes de ces vieilles églises de pierre qui peuvent se révéler intéressantes au médiéviste parfois négligente dans l’iconographie que je suis.
Je l’ai donc suivi chez lui et tout s’est passé très vite. Je n’ai même pas eu le temps de me demander si certaines de ses attitudes ou de nos conversations antérieures portaient déjà la trace de son désir ou d’une quelconque préméditation. C’était un jour de bonne forme et d’une période où l’homme qui partageait ma vie s’y faisait plutôt rare, trop pris par son emploi et de fait un brin négligent. Ce n’est pas un reproche, mon propre métier, la vie domestique et nos enfants m’accaparaient sans relâche, et n’aurait été un premier geste tendre mais appuyé de Jean-Denis, je ne me serais jamais rendue compte combien mon corps était en soif des plus physiques apaisements.
Notre bonne entente ne s’y démentit pas ; J’y retrouvai un regain d’énergie, qui m’avait donné la force de faire un détour pour quelques courses en rentrant, puis une cuisine un peu plus soignée qu’à notre ordinaire ; que bien entendu les enfants avaient boudée, mais qui avait comblé mon mari, malgré qu’il soit une fois encore rentré tard.
Tout le monde était donc satisfait.
La fatigue m’avait rejointe alors que plus tard en soirée, je répondais sur l’internet aux messages reçus. Je venais d’écluser ceux correspondant à des sollicitations professionnelles, et m’apprêtais à répondre à mes amis, quand mes activités lubricoles du tantôt se firent payer en urgence du sommeil.
La réponse à Laurence ne nécessitait pas tant d’empressement, ni les quelques autres que je souhaitais faire, je les remis au jour suivant et me glissais sans tarder dans un lit où son autre occupant légitime ronflait déjà.
Seulement le lendemain, je ne répondis pas. Une conférence, les traînasseries consécutives d’usage, le petit à prendre après l’école et à accompagner chez le médecin pour un rappel de vaccination, le dîner à bâcler, puis la vaisselle, la seconde à aider dans ses devoirs scolaires, ainsi qu’un document professionnel à avancer en hâte, et la journée fut complète sans un seul temps pour les copains.
Le matin d’après, un vendredi, après avoir terminé de rédiger puis envoyer ce texte dans les délais requis, je commençai à préparer nos affaires pour le week-end. Rassemblant quelques bagages en hâte, je me rendis compte que j’avais oublié chez son propriétaire l’appareil photo proposé l’avant-veille. J’appelai donc Jean-Denis, non sans un cœur un brin frémissant.
Il éclata d’un bon rire. J’attendais ton appel, tu passes le chercher ? m’avait-il répondu d’une voix pleine de promesses.
Elles furent tenues quelques heures plus tard et c’est le corps lourd et le cœur léger que j’achevai en fin de journée la part qui m’incombait du chargement familial et pris place dans notre voiture auprès d’un mari maugréant après un travail inachevé pour cause de départ et les embouteillages qui rendaient ce sacrifice inutile.
Le week-end n’en fut pas un. Tout se déplia ensuite comme à rêver, les enfants joyeux, heureux de grand-air et peu encombrants, la maison où nous logions accueillante, mon homme enfin détendu et soucieux de tendresse, les églises des environs plus captivantes encore que je ne m’y attendais. Dans le bonheur, une perfection.
Sans compter que l’appareil photo fonctionnait à merveille.
La semaine qui suivit fut consacrée, outre un déplacement pour un colloque prévu de longue date, à l’exploitation des données rassemblées lors de cette pause familiale, et qui se révélèrent plus fructueuses que prévues.
Au point que ce ne fut que la suivante que je trouvais le temps de revoir Jean-Denis pour lui rendre son bien. L’impatience l’avait rendu plus entreprenant encore, et ce fut un heureux moment.
Juin fila comme le vent, entre tout ce qui restait à boucler avant les congés universitaires, la kyrielle de fêtes de fin d’année scolaire pour les enfants, des cousins ou camarades de passage qui choisissaient la belle saison pour un saut à Paris, mes rencontres coquines avec Jean-Denis qui l’un comme l’autre nous satisfaisaient tant.
Il n’était pas question d’amour entre nous. Il ne vivait que pour les yeux d’une belle, adorable mais lointaine et donc intermittente Néerlandaise, dont je consolais l’absence avec application. De son côté, il me rassurait sur mon pouvoir de séduction tout en comblant les manques d’une vie conjugale rétrécie par les contraintes journalières.
Je n’en pensais pas moins à Laurence, mais ma réponse ayant déjà bien trop tardée, je ne savais plus par quoi l’amorcer. Quelque chose me disait que sa mélancolie persistante était peut-être due à une peine d’ordre amoureux ; je craignais de remuer le couteau dans la plaie si j’évoquais ma liaison bénéfique. Je savais mon amie capable de lire entre mes lignes, elle l’avait prouvé par le passé, et craignais même qu’elle ne comprenne tout même si je ne lui avouais rien.
Vint la période des vacances d’été. Mon mari avait cumulé tant de congés non utilisés les années précédentes que la direction de son entreprise craignant quelques soucis avec l’inspection du travail, l’obligea à en prendre le solde. Nous nous trouvâmes donc avec la plus longue période de vacances familiales que nous avions jamais connue, en profitâmes pour alterner voyages à l’étranger et locations françaises en des coins reculés. Notre aîné nous honora même de sa présence dont il commençait se faire avare, la jeunesse venant.
La plupart de ces lieux ne disposaient guère de connexions informatiques, ce qui ne m’indisposait pas.
Je songeais cependant à Laurence, l’imaginais en vacances elle aussi. Un soir je faillis l’appeler, pour un partage de temps heureux. Mais nous n’usions du téléphone à l’habitude qu’en cas d’urgence ou de rendez-vous à fixer. C’était notre manière de femmes aux quotidiens trop chargés. Il se faisait tard, j’avais donc craint de l’alarmer inutilement ;
et aussi de mal tomber. Peut-être était-elle de son côté coincée à Paris par son emploi de bureau ? Mon appel de longue vacancière insouciante au lieu de la réconforter accroîtrait alors le poids de sa charge.
Je n’avais pas téléphoné.
A peine plus loin, la rentrée s’était présentée avec la force d’un avion qui décolle.
Les enfants requéraient notre aide, particulièrement le grand à établir en fac dans une ville lointaine.
De mon côté j’étais extrêmement sollicitée suite à quelque publication émise après mes « découvertes » normandes du printemps.
Quant à mon mari, il fut proprement submergé par tout ce qui avait été laissé de côté en son absence.
Nous ne nous croisions plus que pour dormir, épuisés.
J’en venais même à négliger Jean-Denis, qui jamais n’en émit une plainte, ainsi que mes plus anciennes amies, qui elles ne s’en privèrent pas.
La Toussaint arriva comme une parenthèse triste. Ma famille et belle-famille étaient originaires de régions diamétralement opposées mais leurs traditions respectives ne l’étaient pas, et nous avions pris le parti de combler nos négligences d’actifs sur-occupés par une présence sans faille aux jours requis d’honorer les morts.
On enquilla sur novembre, qui par chez nous est un mois d’anniversaires, à croire que parents, oncles et tantes n’ont su que concevoir sous les couettes épaisses des jours les plus froids et que nous avons perpétué cette coutume tacite.
J’avais dans l’intervalle accumulé un retard irrattrapable dans l’utilisation de ma messagerie et ne parvenais qu’à grand-peine à faire face à sa part professionnelle incompressible.
Des amis tolérants, et Laurence, fidèle et discrète, était de ceux-là, j’avais négligé les mots reçus, reportant les réponses dues avant l’été à mon retour pour la rentrée, puis la masse de celles de septembre à quelques temps introuvables plus tard, et ensuite à après nos trajets de Toussaint. J’en étais donc à dire que j’allais, c’était juré, être d’une ponctualité amicale sans faille pour les vœux de fin d’année et justifier ma négligence par mon débordement chronique à présent mâtiné de succès.
Pour mes recherches de l’année écoulée, je venais en effet de recevoir honneurs et reconnaissances d’une université américaine et d’y être invitée, ce qui m’avait arrangé le moral, mais pas l’emploi du temps.
Je n’oubliais pas Laurence, me rappelais fréquemment de paroles ou propos écrits que nous avions échangés. J’aimais sa façon ironique, tendre et désenchantée de considérer le monde et ses habitants, et ne me lassais pas de constater, surtout lors d’occasions de prestige, combien elle avait raison.
Elle m’écrivait de temps à autre, mais sans plus parler d’elle, ou si peu, ne s’autorisant en l’absence de réciprocité qu’à me communiquer des informations utiles sur les sujets importants qu’elle me connaissait.
J’avais à chaque fois l’intention de la remercier sincèrement, lui raconter de moi, lui proposer une revoyure, mais une forme de remord solide m’en rendait timide. Je reportai l’espoir d’y parvenir au prochain temps calme, où j’aurai pour elle la disponibilité de lui offrir des mots plus réparateurs que ceux des instants comptés.
Aucun temps calme n’est venu.
Ce n’est qu’en recevant tout à l’heure un bref appel de Jean-Denis, et qui me disait de sa voix chaleureuse, Tu n’aurais pas enfin cinq minutes, pour fêter notre moitié d’année ?,
que j’ai compris combien j’avais dernièrement négligé un amant de haut réconfort, mais surtout totalement laissé tomber une de mes meilleures copines ; à ne même plus savoir comment elle se portait.
Depuis six mois.
Merci, j'ai beaucoup aimé.
Rédigé par : Claire | 26/08/2005 à 16:06
merci à toi d'avoir pris la peine de le dire.
Je trouvais que j'avais fait trop long (retour de vacances sans presque de connexion, je me suis laissée embarquer).
Rédigé par : gilda | 27/08/2005 à 19:47