De cette histoire, seule Laurence est au courant. Je ne l’ai racontée qu’une fois, lors d’une soirée entre amis où elle prenait part.
La conversation était venue sur l’impossibilité d’un amour durable, surtout s’il est parti d’un coup de foudre.
Mon mari, très sûr de son fait et tout énamouré par le La Lagune que nous avions servi plus que par le sentiment lui-même qu’il a solide uniquement aux heures où son travail ne le soucie pas, affirmait que le nôtre était de ce bois-là.
Je ne l’avais pas contredit. Il est vrai que quand nous parvenons à nous extraire un peu du pesant de tous les jours, nous nous entendons à merveille, et depuis fort longtemps. Mais nous passons de longues heures quand ce ne sont pas des journées entières, l’un loin de l’autre et n’avons même plus matériellement le temps de nous fâcher.
Alors comme plus ou moins chacun son tour était sollicité à donner son avis et prendre la parole, quand mon tour est venu, j’avais raconté un peu de moi. Ne souhaitant pas peiner mon homme en lui rappelant que j’en avais connu d’autres avant lui, j’avais présenté l’histoire comme venant d’une autre et parlé en avançant masquée.
Il s’agissait de mon premier amour, qui datait de fort loin et qu’aucun des convives tous rencontrés plus tard, ne pouvait soupçonner. Un homme plus âgé, déjà pourvu de famille et que je ne souhaitais pas arracher aux siens, pas plus que nous ne pouvions nous passer l’un de l’autre. Il fut à l’origine de mon choix d’études, en m’en donnant le goût alors que je me sentais plutôt dépourvue en terme de vocation.
Nous avions choisi de conserver en silence ce lien que nous ne pouvions rompre et faisions donc l’effort de nous voir le moins possible, seulement quand l’un de nous deux n’en pouvait plus d’absence.
Moyennant cette douloureuse économie, nous étions restés longtemps amoureux dans cette séparation même et qui nous protégeait du quotidien assassin des plus belles passions. Les rares moments que nous nous accordions étaient tous magiques et nous donnaient force dans nos vies éloignées.
J’étais étudiante, jeune, probablement un peu grasse et plutôt jolie, les soupirants ne me manquaient donc pas, qui m’épargnaient la pure solitude sans parvenir à me fixer longtemps, tant mon cœur était déjà pris.
C’est sa maladie seule qui nous avait brisés. Dans les premiers temps, voulant m’épargner, il s’était fait distant, absent, peu disponible ; j’avais cru à la fin de son sentiment pour moi, puis à un passage difficile d’avec sa femme qui aurait soupçonné quelque chose et traversé en conséquence une période terrible de désespoir. Je m’étais cependant abstenue de le solliciter à nouveau en me cramponnant à toute force à l’idée que l’avoir croisé dans ma vie était déjà une chance infinie.
Noyant le chagrin dans le labeur, je n’avais jamais tant travaillé ni obtenu d’aussi bons résultats que cette année-là.
Quand au hasard d’un dîner où s’était trouvé l’un de ses collègues ignorant notre lien et qui avait parlé librement devant moi comme on peut se confier quand on croit que les personnes ne se connaissent pas et n’ont aucune chance de se croiser, j’avais appris sa maladie, il était déjà trop tard, il se mourrait. Sa grande popularité professionnelle m’avait juste permis de me glisser en tout anonymat dans la petite foule recueillie qui assista à ses obsèques, en retenant mes larmes comme l’aurait fait une simple connaissance de travail.
A l’achèvement du récit dépersonnalisé, plusieurs se récrièrent, un amour non vécu au grand jour ne comptait pas dans leurs statistiques de bonheur sentimental. Un petit débat s’en était suivi auquel j’avais bien remarqué que Laurence ne prenait pas part, trop heureuse sans doute d’échapper à toute confession car sans cette diversion son tour serait venu.
Effets du Bordeaux ou chaleur des convictions, personne ne chercha à identifier plus loin les protagonistes, la discussion entre légalistes et romantiques échevelés étant à son centre sans qu’elle n’en dérape jamais. J’avais craint d’en avoir trop dit. D’autant que le souvenir de nos étreintes au rappel des circonstances m’avait saisi et j’avais peur que mon trouble se soit vu. Aucun homme ne m’avait mieux traitée, offert de telles jouissances, ni fait tant de bien.
A l’époque de cette soirée amicale, je ne connaissais qu’en simple copain Jean-Denis et son goût de la sensualité heureuse et sans exigence d’engagement qui m’est désormais d’un réconfort presque aussi grand.
Je laissais donc avec soulagement mes camarades et mon mari à leur véhémence et celle-ci protéger mon intimité de mémoire que j’avais failli dévoiler en racontant trop, et rêvais un peu à nos anciens plaisirs, immobile et calme mais le cœur palpitant.
C’est alors que Laurence qui s’était levée pour faire tourner un plateau de victuailles, et passait tout près de moi, me glissa à l’oreille, alors que je ne m’y attendais pas, il te faisait du bien comme personne, n’est-ce pas ?
Ce qui me touche encore plus que l'histoire passionnelle entre deux êtres, c'est la capacité d'écoute de cette homonyme qui a su lire entre les lignes.
Rédigé par : laurence | 30/08/2005 à 03:43
ca sonne terriblement juste, j'ai l'impression que c'est autobiographique... ou alors très bien écrit !
Rédigé par : Fuligineuse | 02/09/2005 à 02:24
Merci Fuligineuse, même si je risque de vous décevoir puisqu'il s'agit de fiction.
En fait ces personnages se sont invités à la lecture du thème précédent qui m'a saisie à un retour de vacances sans connexion où je me sentais très en manque d'écrire dans l'échange.
Je pense qu'ils reviendront ; votre remarque m'indique que cette piste de travail (en direction d'une auto-fiction fictive) est peut-être un bon chemin pour moi. Sans le regard des autres on ne peut pas savoir, voilà pourquoi merci beaucoup.
Rédigé par : gilda | 02/09/2005 à 11:52