Le préposé aux bénéficiaires n’avait pas encore quitté ta chambre que, déjà, tu t’agrippais à mon bras, l’emprisonnant dans ta petite main azurée par les innombrables transfusions sanguines.
— C’est lui, j’en suis certaine! m’as-tu murmuré, comme sous le sceau de la confidence.
— Voyons, maman. Il est juste venu t’apporter ton repas.
— Je lui fais pas confiance. T’as vu comment il me regardait? Et en plus, c’est un émigré. Et tu sais ce que je pense de ce monde-là. Avec tout ce qui se passe en ce moment. C’est pas normal que je sois aussi malade, même si j’ai quatre-vingt-trois ans. Je suis entrée ici pour un simple mal de gorge, et puis voilà que je vomis et que j’ai des diarrhées tout le temps. Si c’est pas le barbu qui m’empoissonne, alors c’est les infirmières.
J’ai soupiré puis me suis écarté un peu pour jeter un œil à ton repas. Une pomme de terre surmontée d’un morceau de persil, une tranche de veau baignant dans une nappe brunâtre et déjà tiède, ainsi que trois bouts de carottes constituaient l’essentiel de ton souper. À cela s’ajoutaient un verre de jus d’orange et un morceau de gâteau au chocolat. Rien, en somme, pour ouvrir l’appétit.
— Tu es certaine de vouloir manger ça? Je peux aller à la cafétéria te chercher quelque chose d’autre.
— Ne me laisse pas seule avec cette bande d’assassins! Ils veulent que je crève, et toi aussi, j’ai bien l’impression. T’es pas foutu de me sortir d’ici! Une vraie lavette, comme ton père! Je l’ai toujours dit, d’ailleurs.
Je n’ai pas répliqué, sachant que ce serait inutile. Je connaissais trop bien tes crises d’angoisses, pour les avoir supportés des milliers de fois.
Tes yeux fixaient le plafond tandis que tu concentrais toute ton attention sur ta respiration, de plus en plus difficile. Sans un mot, j’ai glissé ma main dans la poche de ma veste pour en retirer un petit sachet de poudre blanche. J’ai esquissé un très bref sourire tout en saupoudrant le morceau de viande. Tu as à peine regardé. Trop fatiguée, sans doute.
— Qu’est-ce que tu fais encore?
La même chose que d’habitude, maman. En espérant que cette fois, la dose soit la bonne.
— J’ai rajouté un peu de sel…
Chapeau!
Rédigé par : bibasse | 02/08/2005 à 05:40
Percutant.
Rédigé par : l'Indécrottable | 07/08/2005 à 11:08