J'ai rajouté un peu de sel tout en trouvant curieux qu'elle n'en fasse pas autant. J'avais en effet complètement oublié de saler la soupe, entre un travail à terminer, des ouvriers qui venaient réparer la chaudière, le petit à aller chercher à l'école, un léger souci car la grande alors tardait à rentrer, et ce dîner, bien sûr, à préparer.
C'est vrai qu'on était bien, comme au coin du feu, même si ma cuisine citadine n'en possède qu'un simulacre au gaz de ville.
Les enfants ne s'attardèrent pas à table, malgré un dessert à leur main.
Nous n'en étions toujours qu'à la soupe. Mon amie en reprit volontiers. J'approchais la salière, mais elle la négligea. Ca devait pourtant être bien fade.
La conversation ne l'était pas. Nous étions heureuses de nous retrouver. Elle sortait d'une période difficile, tentait de reprendre pied dans la vie, et si elle n'était pas du genre à s'épancher, moi qui la connaissais, je la sentais encore fragile et assoiffée d'une agitation familiale légère, de se sentir au bain d'un quotidien sans catastrophe ni menace, au milieu de gens qui s'aimaient.
Mon mari rentra, fatigué mais attentif, qui prit sa pitance et sa part de conversation, puis se coucha éreinté. Il avait, après goûtage, salé d'abondance mais sans maudire. J'avais apprécié sa discrétion.
Il fut tard trop tôt. Nos journées à venir remplies par le travail s'annonçaient bien longues et elle ne pouvait s'attarder. J'avais de mon côté quelques tâches à finir. Elle me remercia, dit que ç'avait été bon et lui avait fait du bien, la soirée et le repas.
Nous nous sommes embrassées sans effusions mais avec tendresse, je lui ai ouvert la porte de l'ascenseur et il l'a emportée.
Je savais que ce n'était pas politesse de sa part, mais très exactement ce qu'elle ressentait.
Et je savais aussi, depuis notre premier jour, que l'amitié à ses yeux n'était pas un vain mot.
Je sais désormais que ma cuisine ne lui est pas insipide, malgré mes moments d'oublis, puisqu'elle a totalement ignoré mon geste, quand j'ai rajouté un peu de sel.
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