Personnages
FRERE YANEK, franciscain
DORA
DOCTEUR MEPHISTO, psychanalyste.
(Cabinet du docteur. Toute licence est laissée au metteur en scène pour le meubler à sa guise. On se fera toutefois un devoir de soigner la précision du décor. Le diable est dans les détails, dit-on.)
Première scène (Mephisto, Yanek)
DOCTEUR MEPHISTO
Entrez donc ! Je vous prie !
L'expression est idoine,
car de culte il s'agit;
votre bure sardoine
n'est qu'un faux bouclier.
Le lion de Macédoine,
Parménion, que j'ai lié
à l'autel du vulgaire
pour en faire un allier
serait mort à la guerre
en...
FRERE YANEK
Vous parlez en alexandrin ?
DOCTEUR MEPHISTO
Six pieds seulement. Ne dit-on pas "six pieds sous terre" ?
FRERE YANEK
C'est désagréable.
DOCTEUR MEPHISTO
À votre aise. Je vous prie, encore ! de m'excuser. Je vous en prie, trois fois ! puisque j'aime à penser qu'en fin d'entrevue, de même, vous me prierez.
FRERE YANEK
Tout dépendra de ce que vous me proposez.
DOCTEUR MEPHISTO
Tout dépendra de ce que vous me demandez.
FRERE YANEK
Vos rimes s'apauvrissent.
DOCTEUR MEPHISTO
Je m'adapte. N'avez-vous pas fait, vous même, voeu de pauvreté ? Suis-je maladroit; s'il est un voeu que vous regrettez, ce n'est pas celui-là. Bien évidemment.
FRERE YANEK
Non.
DOCTEUR MEPHISTO
Vous refusez de vous ouvrir à moi ? Me parler n'engage à rien. Votre seigneur Jésus Christ, lui même, l'a fait.
FRERE YANEK
Qu'il fut heureux, le fils de l'homme ! Il ne rencontra jamais Dora. L'aurait-il fait, il aurait précipité l'humanité toute entière dans les flammes.
Depuis que je la connais... Comment dire... Vous n'avez pas besoin de savoir.
Vous savez déjà. J'ai peur... Elle m'aime, mais elle tremble pour notre impossible amour. Si elle me fait céder à la passion, elle me damne. Elle brise mon voeu de chasteté. Elle refuse de me condamner. Elle souffre pour... elle voudrait mais elle ne peut.
DOCTEUR MEPHISTO
Vous bafouillez et perdez en clarté. Laissez-moi résumer : vous l'aimez et elle vous aime. Elle refuse cette amour interdit pour ne pas vous détruire; mais ce refus la ronge. Ergo, vous culpabilisez. Ce refus est sa croix. Par ce refus, vous devenez la corde tendue entre votre damnation et son bonheur. Pathétique : vous êtes tous deux attachés pour les entrailles et elle s'éloigne pour vous sauver. Elle a mal au ventre. Elle se plie de douleur. Quand cassera-t-elle en deux? Vous êtes prêt à l'accueillir dans vos bras pour réduire son fardeau. Vous damner. Est-ce ce dont vous avez besoin ?
FRERE YANEK
Pour elle ? Elle en mourrait de chagrin. Elle serait à ses propres yeux la cause de ma chute. Croyez-vous qu'elle le supporterait ? Son âme ne serait-elle pas souillée de ce forfait ? Que dirait le juge devant la vierge devenue succube ? Parfois, je me sais si inutile ! Si... accessoire à ce monde. Si insignifiant. Un grain de sable dans son oeil. Je regrette d'être né... Je regrette d'être né.
DOCTEUR MEPHISTO, souriant
Je ne peux rien faire pour vous.
FRERE YANEK
Ne pas naître ! Dormir d'un sommeil sans rêve, ne pas naître ! Cesser d'être poussière. Ne pas naître !
DOCTEUR MEPHISTO
Je ne peux rien faire pour vous.
FRERE YANEK
Ne pas naître, pour ne plus déchirer sa cornée !
DOCTEUR MEPHISTO
Je ne peux rien faire pour vous.
Deuxième scène (Mephisto, Dora)
DOCTEUR MEPHISTO
Il sort à l'instant. Quelle magnifique invention que l'amour ! Il transformerait un bourreau en tisserand !
DORA
Yanek a toujours été tisserand, monsieur.
DOCTEUR MEPHISTO
L'amour ! Il rend évident ce que l'être humain a de meilleur. Son envie d'être bon, ah ! Divine envie ! Le terme "divine" est impropre, bien sûr.
DORA
Monsieur...
DOCTEUR MEPHISTO
L'amour ! L'envie de devenir provoyeur éternel de bonheur auprès de l'être aimé ! Comme c'est délicat, subtile, fleuri !
DORA
Monsieur, votre ironie me blesse.
DOCTEUR MEPHISTO
Je suis sincère. Parlons de vous, plutôt, chère cliente. Le maléfice a parfaitement fonctionné; le philtre a fait effet. Il vous aime ! Il se damnerait pour vous.
DORA
Monsieur ! Je n'ai pas voulu cela.
DOCTEUR MEPHISTO
Vous l'avez.
DORA
Cruel. Evidemment. Comme toujours. Pourquoi dois-je choisir entre son amour et son salut ?
DOCTEUR MEPHISTO
Vous choisissez ? Le libérer et souffrir les affres de la solitude ?
Ou l'enchaîner et souffrir le remord ? Son amour ou son salut ?
DORA, (avec douleur)
Son amour, démon ! Le pire choix, le seul possible !
Troisième scène (Mephisto)
DOCTEUR MEPHISTO
Au final, pourquoi intervenir ? Rien à faire;
Regrets et remords suffisent bien à l'enfer.
Spirituel! ;-)
Une seule chose me tracasse: Le philtre...
Rédigé par : catz | 11/07/2005 à 08:36
Merci Catz, le compliment est d'autant plus apprécié que j'ai écrit ce texte au dernier moment et que j'ai donc failli manquer la deadline ;-)
Par "le philtre", veux-tu dire "le coup du philtre d'amour, c'est vraiment cliché", auquel cas tu aurais raison, ou alors "tu fais une faute, le mot correct est filtre", auquel cas tu as tort ? L'académie dit en effet :
PHILTRE. n. m. Breuvage, drogue, qu'on suppose propre à donner de l'amour, ou, en général, à provoquer quelque passion.
S'il y a une faute dans ce texte, c'est plutôt sur le mot "allier" qu'il faut la chercher ;-) et il y en a peut-être d'autres, hélas...
Rédigé par : Sok | 11/07/2005 à 09:21
sok sok sok,
à en juger par son nom, catz est une fille(les chats sur internet, c'est un truc de fille) et tu devrais savoir que les filles sont sans cesse tracassées par l'aléatoire.
Bien sûr je pèse pas mes mots et j'ai d'ailleurs aucune idée de ce que je viens de dire.
Rédigé par : canard | 12/07/2005 à 05:45
Peau de chagrin que tout ça!
Ton texte se réduit jusqu'à en mourir... est-ce volontaire? le besoin de lier l'amour et la mort? Le philtre et le poison sont si proche dans tes propos.
Si le philtre est une drogue, quel risque d'une overdose, un trop plein d'amour qui conduit à la destruction de l'être aimé, puis la destruction de soi par chagrin de la perte de cet être... bête égoïsme que la peur de vivre seul.
Canard : tracassées? certainement pas, elles l'ont en phobie! Mais je ne saurais non plus me porter garant de la véracité de mes dires!
Rédigé par : duchene | 13/07/2005 à 15:16
Nenni pour l'aléatoire (cette fois au moins!). C'est au contraire l'idée d'un amour "forcé" par un philtre qui me tracassait dans cette histoire... ;-)
Rédigé par : catz | 15/07/2005 à 09:03
Canard mou : euh... J'ai une chance sur deux de t'avoir compris.
Duchene et Catz : Vous avez tout deux raison. Je me rends compte que je n'aurais pas dû écrire ce texte dans l'urgence. J'aurais pu en faire quelque chose de mieux si j'avais eu un peu plus de temps. J'essayerai de le retravailler, un de ces quatre...
Rédigé par : Sok | 15/07/2005 à 13:44