Armelle regrette et remord
[À lire sur une musique kitsch de notes pleureuses, et si possible, peut-être, vraiment lentement : Ce court (je l’espère) texte est fortement inspiré de faits vécus la nuit précédente. Les noms de personnes et de lieux ont été modifiés pour protéger l’anonymat des acteurs originels.]
Armelle fixa le coin du drap qui recouvrait ses jambes. Le truc était d’une rare laideur, tressé de couleurs infirmes qui formaient un tout vénéneux qu’un lépreux aurait rejeté même en hiver de peur que les gens charitables s’en éloignent. Et c’est sans compter le fait que de reconnaître l’existence de pareille immondice dans sa propre chambre vous file assurément le spleen baudelairien bien entre les deux grands fessiers. Oh vraiment, peu de choses valent telle abjection.
Note biographique d’Armelle :
Elle vivait seule, dans un mal de vivre journalier rendu endurable par le rythme d’extrême lenteur des téléromans et des jours de fêtes, jours où sa fille unique venait la visiter pour prendre de ses nouvelles toutes ennuyeuses, il faut comprendre que les dernières observations sur la vie qu'Armelle était à même d'articuler tournaient autour des tournages de bas acabit. Armelle cependant ne se faisait pas assez naïve pour qu’on l’imagine sans secret. Je savais entre autre vu mon emploi, qu’il lui arrivait de souvent rentrer au club vidéo pour une portion de pop-corn au beurre et à chaque fois le hasard la fit échouer dans la section adulte d’où elle extirpait promptement deux bons films lesbiens. Je me souviens bien de madame Bastien, étant ma seule cliente d’âge mûr capable de passer à la caisse la main sur des boîtes obscènes sans ne sembler révéler la moindre brèche d’amour propre. Elle poussait même l’effronterie jusqu’à me parler constamment de sa gosse avec toutes les louanges que seules les mères savent inventer. J’ai subtilement rioté les premières fois, mû de l’impression que se déployait devant moi un numéro stupide de Mike Ward... Mais retournons néanmoins à l’histoire.
C’est que voyez-vous, la conne d’Armelle qui me pend au bout du fil en écoutant mes mots aussi distraitement qu’une boîte vocale a de bonnes raisons de ne pas regarder droit devant.
Elle devait bien avoir les yeux et les doigts tout mouillés quand elle a appelé :
- Super club Vidéocon bonsoir? Ai-je répondu de ma plus professionnelle voix.
-Faut que je vous demande quelque chose.
Bien que la voix sonnait atrocement râpeuse, j’identifiai tout de suite ma vieille Armelle.
-Allez-y.
-J’aimerais que vous me disiez le vrai nom de Nikky Bonnebaise.
Je tapotai un peu à l’ordinateur, machinalement, pénétrant les registres mal montés des plus bidons noms d’actrices sans soutien-gorge. J’ai répondu goguenard les pupilles plus dilatées que le Grand Canyon:
- Nicole Bastien.
J’ai entendu le son d’un souffle qui me fit penser à la musique d’un violon manié par un enfant mongolien, et elle a raccroché. J'honorai le destin pour cette blague inattendue.
À la fin de mon quart, en sortant, j’aperçu au sol devant la bâtisse une masse stupéfiante de mouches mortes. Elles avaient dû, pensai-je, tomber dans le charme luminescent des néons multicolores et s’agglutiner au verre translucide qui les séparait du flux fluorescent de l’intérieur, cela jusqu’à la triste combustion de leur toute dernière calorie ou organe. Voir ces insectes suicidés par amour absolu, dénigrant obstinément les instincts primaires pour se dévouer corps et âme à la passion pure, voir tout cela me foutait le ventre à la sécheuse high-speed. L’image de subversion, malgré les cadavres foisonnants, m’était belle à mourir.
Je repensai par malaise à la pauvre qui devait à ce précis moment languir dans une agonie seulement différente, et fis d'un pas lourd résonner les carcasses sur le sol tout en cheminant vers d'autres néons.
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