Dans le bas des falaises, les hommes à la peau parcheminée tapaient en cadence dans la roche comme des bûcherons frappent en rythme sur les troncs des arbres, sauf que jamais la falaise ne tomberait. La roche se cassait en gros blocs de grès presque cubiques et aux arrêtes tranchantes. Et les hommes illettrés burinaient du matin au soir pour rentrer dans leurs bicoques rejoindre leurs femmes idiotes et leurs marmots pleurnichards. Ils slurpaient leur soupe en longs coups de langue dans le silence avant de déchirer l’air immobile d’un grand revers de main qui venait se fracasser sur la joue du plus jeune dont le corps s’abattait sur le sol comme un chevreuil sous la rafale. Et l’homme remettait sa pogne énorme sur le bois épais de la table avant de, presqu’aussitôt, l’ériger de nouveau au-dessus de sa tête pour en menacer l’aîné des frères qui a un geste mais tout de suite se calme sous la menace de la battoire paternelle et replonge son nez dans son potage.
Au matin, à quatre heures, l’homme dans l’ombre de la cuisine semblera plus animal qu’humain, un ours ou un ogre. Il fermera la porte derrière lui pour rejoindre la falaise de grès, cette salope qui lui rappelle chaque jour sa petitesse.
Et jour après jour l’homme ira essorer sa vie sur la roche à grands coups de butoirs. Et un jour sa vie sera tellement sèche qu’elle tombera en lambeaux dans les blocs de grès et les plus jeunes la ramasseront pour la porter à sa femme et à ses enfants qui s’habilleront de noir.
L’aîné des enfants passera sa vie à se demander ce que la vie de son père aurait pu être. Et par respect, par tradition ou peut-être par croyance, il reprendra le travail de son père et partira chaque jour, à son tour, user sa vie sur la falaise. Il y trouvera la mort aussi, à force. Et c’est son fils qui prendra la relève. Et comme ça jusqu’à la fin des temps, re-grès et re-mort.
Le carnet de l'auteur
Quel beau poème déchirant et triste. Ton style est bouleversant. Ca faisait longtemps que j'attendais une sensation comme ça.
Rédigé par : Bérengère | 02/12/2007 à 11:54
Quel beau poème déchirant et triste. Ton style est bouleversant. Ca faisait longtemps que j'attendais une sensation comme ça.
Rédigé par : Bérengère | 02/12/2007 à 11:54
J'pourrais m'amuser à le poster une troisième fois, mon commentaire, mais bon, toutes mes excuses, je suis une sinistrée de l'informatique. Ou alors c'est à cause de l'effet que ce texte m'a fait? Bref, le premier post a vocation à disparaître, comme dirait Belzébuth.
Rédigé par : Bérengère | 02/12/2007 à 11:56