Alice s’aperçut que tout le monde dans la rue la regardait. Cela la fit encore plus rire, et elle l’expliqua à Mathieu, qui essayait de comprendre ce qu’elle disait entre deux éclats. Il ne valait guère mieux et était en train de se rouler par terre chez lui devant ses colocataires perplexes.
Alice se dit qu’il valait mieux s’arrêter quelque part et choisit un café au hasard parmis les deux, presque identiques, devant lesquels elle passait. Elle s’assit en terrasse à la première table disponible et entreprit de reraconter la blague du cheval à Mathieu pour la troisième fois, sachant qu’elle aurait du mal à aller jusqu’au bout tellement elle la faisait rire. Elle jugea plus prudent d’indiquer au serveur la bière qu’elle souhaitait boire avant d’entrer dans le vif de l’histoire.
C’était effectivement une sage décision. À peine une minute plus tard, elle pleurait de rire à nouveau. Elle se vit dans la glace qui séparait les deux bars ; apercevoir ses larmes couler n’arrangea rien, et elle continua de plus belle. Elle failli s’étouffer tellement elle avait de mal à respirer, et elle siffla son demi pression quasiment cul-sec pour faire le plus vite possible et éviter de recracher toute la bière si Mathieu répétait une nouvelle fois qu’il allait se pisser dessus si ça continuait. Elle en recommanda une autre, qu’elle but tout aussi sec pour les mêmes raisons, et enchaîna sur une troisième.
Événement salvateur, Alice arriva à cours de batterie. Elle en fut presque soulagée et continua à se regarder pleurer de rire dans la vitre pendant un moment. Cela faisait maintenant trois semaines qu’elle sortait avec Mathieu, un record de stabilité pour elle. Il la faisait rire, il ne lui disait pas qu’elle était un peu boulotte, il aimait sa peau blanche qui contrastait avec ses cheveux bruns, il n’avait fait que des commentaires agréables lorsqu’elle s’était fait faire des reflets roux la semaine précédente.
Alice savait qu’elle faisait un peu pétasse dans sa manière d’être mais l’assumait totalement. Elle avait conscience de son intelligence, ou plutôt de ses limites. Comme elle le répétait souvent, il faut bien des gens un peu bêtes pour que les génies puissent se faire remarquer. Elle préférait mettre l’accent sur l’apparence, en s’habillant à la mode, comme aujourd’hui, avec ce petit haut rouge qu’on voyait partout et cette grande jupe noire.
Elle se regarda à nouveau dans la vitre et se trouva belle. Elle se découvrit un nouveau grain de beauté au dessus de l’arcade sourcilière droite ; une vérification manuelle la rassura, ce n’était probablement qu’une trace de maquillage, elle n’avait pas dû s’en apercevoir en se repoudrant dans le bus. Elle réajusta lascivement sa coiffure, savamment étudiée ; elle en avait étudié des réactions d’hommes avant de choisir celle qui lui allait le mieux.
Elle se demanda si Mathieu était le bon, tandis qu’elle entamait sa quatrième bière. Il n’avait qu’un défaut, il buvait peu, alors elle buvait pour deux. Elle buvait toujours lorsqu’elle était bien, peut-être un peu trop. Ou beaucoup trop. En fait, elle adorait ces sensations qu’apportent le début d’ivresse, presque autant que celles fournies par l’ivresse complète. Elle savait que, saoûle, elle avait tendance à faire n’importe quoi, et que Mathieu s’en lasserait, mais elle commençait à atteindre l’état lui permettant de ne pas en tenir compte.
Quand-même, cette tache sur le visage la travaillait. Elle fouilla dans son sac sans parvenir à mettre la main sur son miroir. L’aurait-elle perdu en route ? Elle abandonna rapidement la recherche, sachant qu’elle n’avait pas les idées claires. Elle se décida à aller voir Mathieu, sans le prévenir. Il aurait peut-être une ou deux bières au frais, et elle se sentait d’humeur coquine. Ses larmes étaient maintenant sèches, elle se remaquillerait en arrivant chez lui.
Alice termina rapidement sa bière, laissa quelques billets sur la table, et se leva pour partir. Elle sortit en slalomant péniblement entre les chaises. Elle voyait double, les gens étaient à la fois devant et derrière elle. Il allait falloir atteindre le métro et réussir à prendre le bon, ce n’était pas gagné. Alice regarda les deux serveurs jumeaux passer commande aux deux barmen jumeaux, pour la table avec les deux jumelles qui attendaient leur café. Tout tournait dans sa tête.
Une fois les deux trottoirs franchis, Alice se demanda si elle devait continuer ou au contraire faire demi-tour pour atteindre les toilettes du bar. Elle regarda autour d’elle et eu l’impression étrange de se voir elle-même. Elle tenta de dire quelque chose ; sa tête explosa contre le trottoir avant qu’elle n’ait pu dire un mot.
Ne ratez pas Alice de l'autre côté du miroir.
Le carnet de l'auteur
Ca me rappelle quelque chose...hum... et comme Mélie, évidemment, j'aime beaucoup !
Rédigé par : Claire | 24/07/2005 à 04:59