Armelle fixa le coin du drap sous le matelas tout bosselé tandis que, dans le lit voisin, la tête légèrement tournée vers elle, Emkel semblait ne rien perdre de ses gestes, lui dont la moitié du visage avait pourtant été déchiquetée lors de l’explosion d’un obus tombé sur le vieux hangar désaffecté où il se trouvait alors, hangar mieux connu sous le nom de code Gate Number J10.
« Sait-il seulement où il se trouve? » se demanda la jeune infirmière en se tournant vers lui.
Le corps momifié, Emkel n’avait pas repris conscience depuis son transfert ici, soit exactement quatre jours. Ses signes vitaux étaient stables, mais aucune amélioration ne permettait de croire qu’il allait s’en sortir. Même le chirurgien s’était montré pessimiste.
« Une semaine, et ce sera fini. Le pauvre a le cerveau en bouilli. L’obus lui est presque tombé sur la tête. Quand nos soldats l’ont trouvé, il était à moitié mort. Il a de multiples fractures aux jambes et ses bras sont brûlés au troisième degré. On pense que sa vue n’a pas été touchée, mais comment savoir? Paraît que c’était un médecin extraordinaire. Un homme extrêmement dévoué. Et on dit aussi…»
« Oui? »
« On dit… que c’était lui, le passeur. Mais dans l’état où il est, on ne le saura sans doute jamais… »
Il écrasa rageusement sa cigarette sous sa chaussure avant de poursuivre son chemin vers le bloc opératoire, là où des blessés attendaient pour des amputations.
La nuit était tombée. Armelle avait fini son quart de travail et elle devait reprendre la route sur sa vieille bicyclette bleue afin de rejoindre au plus vite son village, situé à quelques kilomètres d’ici. Elle décida pourtant de rester encore un moment près de son patient. Elle ne savait rien sur lui, ou si peu. « Passeur » avait dit le chirurgien. Était-ce bien celui sur qui reposaient leurs derniers espoirs?
Après une brève hésitation, Armelle se pencha vers lui, lui murmura quelques mots à l’oreille tout en posant très doucement une main sur sa poitrine. Malgré les pansements, elle capta un léger frémissement, une onde de choc si brève que d’autres qu’elles ne l’auraient pas ressenti. Armelle sourit, visiblement soulagée. Elle laissa sa main dériver un peu plus bas tout en se jurant qu’elle ferait tout ce qu’il faut pour lui sauver la vie…
Le carnet de l'auteure
De l'aventure au coin du drap, de l'inattendu : bravo à toi !
Rédigé par : Bibi | 02/07/2005 à 19:20