Armelle fixa le coin du drap et dans un geste violent, sans même y réfléchir, l’agrippa de ses mains, l’arracha de son lit, comme on arrache une dent qui vous fait trop souffrir. Les quatre coins sautèrent, qu’importe les coutures, qu’elles craquent l’aurait réjouie, l’aurait même fait sourire, n’eut été cette rage qui montait dans son corps. Ses veines se gonflèrent, ses doigts se contractèrent en ramassant en boule le drap contre son ventre. Comme une lame de fond, une violence sourde la submergea entière.
Une image lui revint, un éclair de lumière, elle se revit petite, pleurer à chaudes larmes, la tête sur l’oreiller, hurler de tout son corps, expulser sa colère, battant l’air de ses pieds, les mains au coin du lit, cherchant un réconfort.
Elle se souvint alors, que ses jours noirs d’orage, elle arrachait le drap, l’entraînait dans sa rage dans une course folle à la suivre dehors, s’envolait dans les blés, courait dans les nuages, s’en faisait une voile, la noyait de ses larmes.
Du haut de la falaise, en regardant la mer, battre verte de rage, les roches érodées, elle s’ancrait à la terre face au vent déchaîné, qui la poussait entière à suivre son envolée. Le drap à bout de bras, au-dessus de sa tête, ses larmes s’envolaient pour rejoindre celles de l’air.
Elle sentait les odeurs des ajoncs, des genêts, le sel la recouvrait, son corps résistait, tendu vers l’horizon, pointes de sel ravalées, ses joues étaient de feu. Puis, elle ne tenait plus, se mettait à trembler. Les jambes et les paupières tombaient alors vaincues des larmes ainsi séchées.
Il fallait revenir, pieds lourds, cœur plus léger et atteindre la maison paraissant si lointaine aux pierres de granite au toit noir d’ardoises.
« La mer sera là demain » lui disait bien sa mère, en refaisant le lit, l’entourant de ses bras. « Elle n’est jamais la même » répondait-elle alors, heureuse de s’enrouler contre le corps si chaud.
Dans sa malle à souvenirs, la mer l’apaisait, en ses temps de colère, lorsque dans son ressac, elle entraînait ses larmes.
Depuis plus de 8 ans les tours de la ville encerclaient son studio et étouffaient sa vie ne laissant entrevoir qu’un coin de ciel gris.
Dans un an tout au plus, elle rebroussera chemin, et répondra ainsi à l’appel du large qui parfois l’envahit comme une lame de fond, pour suivre dans le ciel la course des nuages et sentir le sel au coin de ses draps bleus.
Le carnet de l'auteure
Très touchée par ton texte, son intime violence et ces paysages marins (bretons ?) qui me sont si chers.
Rédigé par : Bibi | 02/07/2005 à 19:24
Colère d'enfant face aux éclats des vagues sur les côtes bretonnes. Ces paysages font partie de moi, la colère, elle, sait s'apaiser plus facilement désormais avec l'âge et les sentiments s'exprimer désormais par d'autres moyens. Merci de tes mots Bibi. Es-tu toi-même une bretonne ?
Rédigé par : chrysalide | 06/07/2005 à 07:21