Coïtus Impromptus (Version 1.0)

Armelle fixa le coin... (Basta)

Armelle fixa le coin du drap dévotement,

Preux chevalier était sensé rentrer de Jérusalem après avoir guerroyé les maures.
Du courage il en avait eu à chevaucher ses filles,
3 ans déjà, qu’il goûtait à distance les délices de l’orient sur ce bord de méditerranée.

Bateaux ratés suite aux beuveries,
Colites, fièvres pernicieuses  au moment de l’embarquement.
Shéhérazade de ce bouge,
Elle leur avait conté les senteurs de l’autre coté de la mer, jusqu’à épuisement des bourses.

Temps pour lui de retourner en ses terres de Champagne.
Bonne tenancière du commerce de joie,
Comme pour d’autres pieux croisés son cadeau d’adieu était prêt.

Chef d’œuvre plus délicat que ses habituels clous rouillés, bouts de poutre
Une toile du lucre maquillée vermillon,
Mandylion tanné soleil, poudré cendres moisies.
Lin aspergé d’eau bénite, touche finale du linceul magique.

Pieusement, elle plia le Saint Suaire du Christ.

Le carnet de l'auteure

Armelle fixa le coin... (Sok)

Scène de rue

Armelle fixa le coin du drap et un ivrogne poussa un ronflement, un forain (coude sur un tonneau) secoua un linge, Pierre (pensif et poing contre joue) prit son voisin dans ses bras, distraitement, un badaud fit un signe, un autre tendit le bras, sa femme posa sa main sur son épaule, un mendiant pencha la tête en arrière, la v'toile se gonfla, le ciel se couvrit, quelqu'un tomba, entraînant un autre abruti qui, lui, s'aggripa au bois.

À cet instant précis, dans cette même rue, Théodore Géricault rêvait d'un navire.  Qui n'en parlait pas ! n'était pas français... Le 2 juillet 1816, l'Argus avait recueilli les quelques survivants du naufrage de la Méduse.

Le temps s'était dédoublé : la rue rejouait la scène. Armelle, l'ivrogne, le forain, le mendiant... étaient des naufragés sur un radeau.  Une histoire à repeindre.

Armelle fixa le coin... (Fuligineuse)

Armelle fixa le coin du drap au mur avec une punaise rouge en prenant bien soin de l’enfoncer profondément. Le reste du tissu pendait le long du mur comme un drapeau en berne. Elle tira sur le bord et fixa le deuxième coin supérieur à son tour, puis les deux autres. Maintenant le mur était presque entièrement couvert par le drap blanc qui cachait la vilaine tapisserie à grosses fleurs, principal ornement de la chambre de la tante Ernestine.

La tante Ernestine était partie ce matin faire des courses à la ville voisine, et rendre visite à sa vieille amie Angèle ; elle ne rentrerait pas avant ce soir. Cela laissait à Armelle un peu de temps devant elle, pas trop cependant, il ne faudrait pas trop flâner. Elle considéra à nouveau le drap blanc, vaste espace immaculé pour le moment ; la tête légèrement penchée de côté, ses cheveux longs tombaient presque jusqu’au pot de peinture rouge qu’elle venait d’apporter dans la chambre.

Se servant comme levier de la petite cuillère abandonnée ce matin par la tante Ernestine au bord de sa tasse à thé, elle ouvrit le pot et y plongea son pinceau avec une satisfaction intense. La peinture écarlate, épaisse, brillante, concentrait toute la lumière de la pièce. Armelle posa le pinceau en travers du pot et attacha rapidement ses cheveux pour éviter qu’ils ne trempent dans la couleur. Puis elle prit une grande respiration, saisit le pinceau et écrivit sur le drap en lettres géantes : PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! Il restait encore un peu de place, et à la réflexion, elle ajouta : LA PROPRIETE C’EST LE VOL. Avec un peu de chance, en rentrant dans sa chambre ce soir, la tante Ernestine en aurait une attaque. Et avec un peu de chance, encore, Armelle aurait bientôt une chambre à elle dans cette maison. Elle, Armelle.

Le carnet de l'auteure

Armelle fixa le coin... (Sylvie)

Armelle fixa le coin du drap qui recouvrait à peine ses seins zébrés de marques rouges.

La correction avait été sévère mais ses poignets liés, encore fixés au-dessus de sa tête, l’empêchait de soulever cette maudite pièce de tissu pour vérifier l’ampleur des dégâts, Seule la douleur qui irradiait à chaque mouvement infime qu’elle esquissait – diable, ses jambes aussi demeuraient attachées - lui révélait que presque rien de son corps n’avait été épargné.

Elle poussa un profond soupir.

Leurs jeux devenaient de plus en plus sévères et, si elle y prenait un plaisir certain, mêlé d’une incomparable ivresse, elle se demandait, un peu inquiète, jusqu’où cela les mènerait.

Et puis elle détestait se réveiller ainsi, maintenue prisonnière. Elle préférait rouvrir les yeux dans ses bras, au creux d’un moment d’apaisement.

Vraiment ça commençait à bien faire ! Elle sentit la révolte monter en elle et ses entraves, qui la maintenaient dans l’impuissance, ne firent que décupler sa colère.

Déjà l’histoire du réverbère l’avait agacée. Pour qui la prenait-on ?

Finalement le fait de refuser d’embarquer dans l’avion , le jour de sa fuite devant la porte J10, n’avait fait que repousser de quelques semaines l’enchaînement fou des évènements. Elle avait l’impression pénible d’être dépossédée de sa propre existence au fur et à mesure des semaines.

Ne plus être que ce jouet entre les mains d’un auteur débridé finissait par endommager sérieusement son moral d’héroïne de série b.

Le carnet de l'auteure

Armelle fixa le coin... (Julius Rosenburger)

Motte ‘n’ Jeff (Dialogue automatiste niais) : Ze feuilleton.

Deuxième partie : Inch Allen !

Armelle fixa le coin du drap ontologique de nos amis, à la maison, comme un ange qui passe, la fixation de coins de draps de leur bonne étant toujours signe d’une montée de grandes vexations…  Ainsi donc, pendant ce temps, déhors :

Motte - Jaloux.  Tout ce qui est talentueux te vexe. Jalousie crasse.

Jeff - Faux.  Joe Dassin, par exemple, voilà un spécimen de talent rare s’il est un.  Bien, Joe Dassin, je te le dis en mille, j’en suis pas jaloux. Voilà !

Motte - C’est parce qu’il est mort.  Et puis, tu as le talent assez facile, il me semble.  Peut-être n’es-tu jaloux que du talent vivant ?

Jeff - Quoi ? Il est mort ? Quand ça ?  Comment ? s’affola Jeff.

Motte - N’importe quoi ! soupira la grosse tête du roux. Bien sûr qu’il est mort !  De quoi, qu’en sais-je, moi ? De syphilis, je suppose… Peut-être de la sida ?  Et puis ne change pas de sujet.  Le talent vivant t’horripile, avoue !

Armelle fixa le coin... (R)

Le manque

Armelle fixa le coin du drap… et disparu. Armelle avait fixé le seul coin de tissus immaculé, sec, sans sueur. Armelle avait fixé le seul endroit où je n’étais pas. Armelle, un rêve, encore, une hallucination, peut-être, une émanation de moi, un fix inatteignable. Je pleure ton nom déformé dans un grand élan lyrique, dans un grand dithyrambe des douloureuses semaines de juin, des douloureuses semaines sans toi, des douloureux jours sans dope, sans cigarette, rien…

Je passe mes nuits roulé dans un drap à penser à toi, à attendre les moments fugaces où je vais pouvoir fixer ton sourire et tes yeux pour me sentir bien quelques jours. Le temps est long sans toi qui apparais dans un coin de la chambre à ne pas me regarder, le temps est long de ton image qui s’estompe et de ta voie qui s’éteint au fil des jours. Je serre l’oreiller qui ne bouge pas, tout surpris que je lui porte une telle attention.

Je marche dans les rues en croyant fermement te rencontrer, de te voir fugacement et  de voler quelques doses de toi… Mais tu sembles errer dans Montréal comme dans le coin de ma chambre et disparaître quand je lève la main pour te toucher. 

Armelle fixe encore le coin du drap où il n’y a rien de moi. Je sais qu’il n’y a rien à toucher, je sais qu’il n’y a pas de confrontations possibles, je sais que tu n’es pas vraiment là. J’attends qu’elle parte pour aller te rejoindre, j’attends de t’oublier et d’oublier que tu me manques.

Le carnet de l'auteur

Armelle fixa le coin... (Daniel G)

Armelle fixa le coin du drap sous le matelas tout bosselé tandis que, dans le lit voisin, la tête légèrement tournée vers elle, Emkel semblait ne rien perdre de ses gestes, lui dont la moitié du visage avait pourtant été déchiquetée lors de l’explosion d’un obus tombé sur le vieux hangar désaffecté où il se trouvait alors, hangar mieux connu sous le nom de code Gate Number J10.

« Sait-il seulement où il se trouve? » se demanda la jeune infirmière en se tournant vers lui.

Le corps momifié, Emkel n’avait pas repris conscience depuis son transfert ici, soit exactement quatre jours. Ses signes vitaux étaient stables, mais aucune amélioration ne permettait de croire qu’il allait s’en sortir. Même le chirurgien s’était montré pessimiste.

« Une semaine, et ce sera fini. Le pauvre a le cerveau en bouilli. L’obus lui est presque tombé sur la tête. Quand nos soldats l’ont trouvé, il était à moitié mort. Il a de multiples fractures aux jambes et ses bras sont brûlés au troisième degré. On pense que sa vue n’a pas été touchée, mais comment savoir? Paraît que c’était un médecin extraordinaire. Un homme extrêmement dévoué. Et on dit aussi…»

« Oui? »

« On dit… que c’était lui, le passeur. Mais dans l’état où il est, on ne le saura sans doute jamais… »

Armelle fixa le coin... (Grenouille)

Armelle fixa le coin du drap, se rapprocha, le scruta, cligna des yeux, l'effleura de la main et quelle fut sa surprise quand elle se rendit compte que son drap possédait comme une peau des empreintes digitales géantes  "on arrête pas le progrès" soupira-t-elle en s'allongeant le long de sa ligne de vie! 

Armelle fixa le coin... (Chrysalide)

Armelle fixa le coin du drap et dans un geste violent, sans même y réfléchir, l’agrippa de ses mains, l’arracha de son lit, comme on arrache une dent qui vous fait trop souffrir. Les quatre coins sautèrent, qu’importe les coutures, qu’elles craquent l’aurait réjouie, l’aurait même fait sourire, n’eut été cette rage qui montait dans son corps. Ses veines se gonflèrent, ses doigts se contractèrent en ramassant en boule le drap contre son ventre. Comme une lame de fond, une violence sourde la submergea entière.

Une image lui revint, un éclair de lumière, elle se revit petite, pleurer à chaudes larmes, la tête sur l’oreiller, hurler de tout son corps, expulser sa colère, battant l’air de ses pieds, les mains au coin du lit, cherchant un réconfort.

Elle se souvint alors, que ses jours noirs d’orage, elle arrachait le drap, l’entraînait dans sa rage dans une course folle à la suivre dehors, s’envolait dans les blés, courait dans les nuages, s’en faisait une voile, la noyait de ses larmes.

Du haut de la falaise, en regardant la mer, battre verte de rage, les roches érodées, elle s’ancrait à la terre face au vent déchaîné, qui la poussait entière à suivre son envolée. Le drap à bout de bras, au-dessus de sa tête, ses larmes s’envolaient pour rejoindre celles de l’air.

Armelle fixa le coin... (Wictoria)

Armelle fixa le coin du drap du coin de l'œil. C'était la première fois qu'elle se rendait compte qu'elle ne supportait plus cet imprimé, ni cette couleur. Quelle idée elle avait eu de dormir dans un lit peuplé de vaches et de mouches bleues et vertes ? Non décidemment, il fallait que ça change. Elle décida de traverser la rue sans tarder, entrer dans la boutique de blanc d'en face, d'acheter une nouvelle parure moins encombrante. Aussitôt pensé, aussi fait.

Dans l'entrée de son studio, elle chercha ses chaussures. Où étaient donc passés ses magnifiques sabots bretons qui allaient si bien avec sa robe jaune beurre ? Impossible de remettre la main dessus ou plutôt le pied dedans. Elle les glissât donc dans des tongs.

En bas de son immeuble, elle tomba sur la concierge et pris son courrier. Une seule lettre à lire, elle attendra. Sur l'enveloppe, il y avait un joli timbre, elle songea qu'elle le découperait pour sa collection : elle n'avait pas encore ce papillon dans sa boite.

Dans le magasin, ses yeux furent attirés par un joli drap rayé jaune et noir. Parure abeille, ça irait bien avec sa taille de guêpe. Adjugé, acheté. Elle prend son paquet.

Armelle remontât prestement les escaliers, volant presque jusqu'au dernier palier. Elle avait tant hâte de voir le résultat ! Quelques minutes plus tard, elle se couchait au milieu des rayures de son drap en nid d'abeille. Il grattait un peu, elle se dit qu'elle aurait dû le laver pour en adoucir le toucher.

Mais cette fois, au coin du drap, il n'y avait plus de mouches, elle n'aimait pas trop les insectes.

Le carnet de l'auteure