Roger fonçait, c'était ça son grand truc à Roger, foncer comme une bête sur les voies mouvantes, rêvant de formes émouvantes. Il voyait défiler le ruban insatiable sur lequel s'usaient ces pneumatiques. Roger était une flèche à l'infini mordoré des jours agonisants. Roger Héro aux roues d'airains dévorait les lieux, dévorait les jours. Il était l'aigle de la route.
Roger était sur tous les fronts, son nom s'étalait sur son pare-soleil en lettres dorées, les chromes rutilants de son engin s'en allaient de part le monde. Il s'exposait, luisait de sa carrosserie finement polie à la peau de chamois. Ces mots tombaient comme des gouttes du haut de sa cabine. De sa vue altitude il ne craignait rien, le pare soleil de son incognito lui faisait de l'ombre. Il masquait ces yeux derrière ces lunettes d'aveugles, peut être pour en cacher le vide ? L'inconsistance de ces légèretés qu'il tentait de dissimuler sous le voile de la gravité. Disque trafiqué son énorme engin s'en allait de part la nature, roulant la nuit, roulant à contre sens. Ces multiples phares illuminaient parfois des auto-stoppeuses aventurées aux heures tardives sur le bord de l'asphalte des transitions.
Elles montaient dans sa cabine, le luxe opulent de ces oripeaux vains pouvaient impressionner cela va de soi. Il étalait les multiples bandes de sa CB, en prouvait l'étendue, la désespérance éperdue. Parfois elles pouvaient se laisser aller à se pâmer sous ces promesses de rets infernaux, dans le bruit des chevaux vapeur, subir ces vapeurs à lui. Parfois il se soulageait solitaire sur une aire sordide en compagnie d'autres abandonnés, d'autres chasseurs routiers.
Un soir à la lueur de ces phares blêmes lui apparut l'auto-stoppeuse de ces rêves, idéales en sa posture, toute en attente de se faire emporter. Son sang ne fit qu'un tour, bouillant de perspectives, il se voyait déjà culbutant et ahanant au son des mariachis. Sortant le grand jeu, allumant les anti-brouillards, déployant son antenne à la queue de renard flamboyante il immobilise son monstre mécanique. Il joue de tout ces atouts, il sort le grand jeu, désinvolte conducteur il connaît la route. Détaillant les moindres bouts de son puissant engin, il en fait une promesse facile. Déjà il croit la tenir, la saisir, en finir.
Mais maîtrise ne faisant pas forcément réussite, il eut beau déployer tout ces efforts, faire le beau, faire le paon, rien n'y fit. Son cœur la belle ne voulut céder. Sautant à bas de la cabine trop haute pour ceux qui aiment à voir la terre elle partit au bras d'un auto-stoppeur en route pour le Sud.
Eh oui Roger, en mai, ne fais pas toujours ce qui te plait….
Moi les histoires de camion, soudain ça m'inspire !!! ;-)
Rédigé par : sylvie | 10/05/2005 à 07:31