Gate number J10
Le panneau déjà s’effaçait de sa mémoire brumeuse, il continuait à avancer dans les couloirs déserts de l’aéroport. C’était étrange comme la mémoire se montrait parfois sélective dans ces choix d’organisation, il avait oublié la couleur du panneau à peine celui-ci dépassé, cependant le nom de la porte lui restait en mémoire. Gate number J10, il ne lui semblait pourtant pas avoir vu de porte J9, pas plus que de porte J8. Il tentait de se rappeler les noms des portes, il lui semblait pourtant avoir lu Gate 12 quelques instants auparavant. Il détestait les halls de ces gigantesques aéroports, usines mondialistes ou se croisaient et s’évitaient de peu tant de nations différentes. Son billet dans la main à cette heure improbable il avançait dans le corridor tapissé de velours bleu, un bleu trop électrique, rien à voir avec le bleu du ciel, encore moins avec celui de l’océan. Gate number J10. Les panneaux étaient jaunes, bordés de vert, la mémoire ne lui était pas revenue, tout simplement le panneau suivant s’avançait vers lui.
Gate number J10
Ca ne collait pas, il venait de passer l’accès à ce terminal. Il jura un instant, mais ne s’énerva pas pour autant. Il avait encore dix longues heures à tuer avant son vol. Maudites soient les correspondances, les vols retardés, et le sourire de façade des hôtesses. Il se trouvait coincé dans ce terminal vide, coincé pour la nuit. Encore fallait il qu’il trouve le terminal 16, encore fallait il qu’il s’y trouve un banc de libre pour au moins tenter de somnoler un peu. Il reprit son chemin en soupirant. Il devait y avoir plusieurs accès pour le terminal J10, dieu que cette valise lui pesait, la poignée incrustait sa trace rouge dans sa main tandis qu’il la soulevait. Il aurait du écouter Janice et acheter une de ces malles à roulettes avec une poignée escamotable. Il lui en voulait, elle avait donc toujours raison, il fallait qu’elle ait tout le temps raison. Pour un peu il était près à l’accuser du retard de son vol, de tous ces soucis. Après tout se dit il, c’est bien de sa faute non ? Si elle était un tout petit peu plus ouverte sexuellement, moins empattés, moins fatiguée par la tenue de la maison il n’en serait pas la. Il n’aurait pas été obligé de prendre une maîtresse, encore moins de chercher ces rencontres a l’autre bout du pays. Son statut de voyageur de commerce lui permettait ces fréquents allé et venue, il s’absentait ainsi parfois une semaine prolongeant son déplacement pour aller rencontrer l’une ou l’autre de ces nombreuses conquêtes. Il se mit à repenser à sa dernière conquête, une blonde un peu lourde, un peu empotée, il sourit en repensant aux promesses qu’il lui avait faite, aux bobards qu’il lui avait raconté tout le long de leurs longues nuits de correspondances virtuelles. Sa technique était bien rodé, chaque fois qu’il partait en déplacement il se cherchait une victime dans les alentours de son point de chute. Il écumait les sites d’écriture, de poésie, à la recherche de femmes esseulées, se faisant passer pour un éditeur ou un auteur, il s’arrangeait pour les tirer dans ces filets. Apres il passait de longues heures à les amadouer, à gagner leur confiance avant de proposer une rencontre, et peut être qui sait la possibilité d’une édition. Cela ne marchait pas toujours bien sur, mais il obtenait de bons résultats toutefois et dans son petit carnet noir s’étalait déjà une liste d’une quinzaine de noms. Tout perdu qu’il était dans ces pensées il faillit rater le panneau suivant.
Gate number J10
Il s’immobilisa, une pointe d’inquiétude venait de naître dans sa colonne vertébrale et remontait vers sa nuque s’emparant de son esprit. Les yeux fixes sur le panneau il réfléchissait. Cet aéroport avait beau être immense, cela faisait plus de 30 minutes qu’il avançait dans ce couloir. Il ferma les yeux et les rouvrit, le panneau était toujours la. Aussi loin qu’il pu voir il n’y avait personne, rien que le couloir qui s’allongeait a perte de vue. Maudit bâtiment circulaire, la courbure du couloir l’empêchait de voir ce qui pouvait se trouver à plus de cent mètres de lui. Il jura, il devait s’être trompé de sens tout à l’heure, pour une raison ou une autre il avait fait demi tour et se retrouvait devant le même panneau. Grommelant et jurant il fit demi-tour et reprit sa route. Il avançait en soufflant, la valise au bout de son poignet semblait peser des tonnes. Maudite Janice, pourquoi n’avait elle pas pris l’initiative de lui acheter une malle correcte, idiote, sombre idiote, il ne se gênerait pas pour lui dire sa façon de penser une fois arrivé à la maison.
Gate Number J10
Normal dit il a haute voix, c’est le deuxième panneau, c’est plutôt bon signe je suis sur le bon chemin. La perspective de se trouver sur le bon chemin lui redonna un regain de courage et de jovialité. Il accéléra un peu le pas repensant à cette délicieuse hôtesse rencontrée une demi heure avant. Il errait alors perdu dans le hall des arrivées essayant de se repérer dans la foret des panneaux pour trouver son chemin vers le terminal 16. Il avait apostrophé la magnifique créature moulée dans son uniforme, elle l’avait fixé de ces yeux verts émeraude comme un serpent fixe une souris. Un moment c’est ainsi qu’il s’était senti, une souris devant un dangereux cobra, mais la voix douce et chaude de l’hôtesse eut tôt fait de le rassurer. Ces yeux étaient devenus plus doux, avaient perdus leur éclat métallique, d’une certaine façon ils s’étaient mis à ressembler à ceux de Janice.
Il ne l’avait jamais trouvée très séduisante, un certain charme oui, mais pas très séduisante. C’était plus un confort domestique qui l’avait poussé à l’épouser, et la certitude de sa malléabilité. La seule chose qui distinguait Janice des autres était ces yeux verts. Lorsqu’il l’avait rencontré il avait aimé l’étincelle timide de ces deux pierres de Jade. Avec le temps, et les années de mariage, son regard s’était éteint si les yeux restaient encore vert ils ne brillaient plus.
Quoique.
Parfois lorsqu’il lui racontait ces voyages, les interminables rendez-vous avec des clients agaçants aux multiples demandes. Il lui semblait apercevoir au fond de ces pupilles attentives une lueur, comme un petit feu, un éclair vivace qui le faisait frissonner. Etait elle vraiment dupe ?`Il ne se posait pas la question, qu’aurait elle fait de toute façon ? Empotée comme elle l’était elle ne pouvait vivre sans lui pour organiser le quotidien. La valise tomba lourdement sur la moquette du couloir tandis qu’il s’immobilisait
GATE
Le nom s’étalait sur le panneau en majuscule, impératif, terriblement présent, une injonction un ordre. Il sentit la sueur couler désagréablement sur sa nuque et ces épaules s’affaisser sous leur propre poids. Il ne tournait pas en rond, c’était tout le bâtiment qui ne tournait pas rond. Il s’arrêta et regarda longuement le panneau, puis le couloir qui partait en enfilade vers le terminal J10 à travers le verre des portes coulissantes. Le couloir se perdait au loin, on distinguait au bout une autre porte vitrée. Lorsqu’il s’approcha les portes glissèrent sur elle-même dans un chuintement, plus un sifflement en fait, le sifflement d’un serpent. Il frissonna et s’approcha du trou béant qui semblait vouloir le dévorer. Il fit un pas en arrière, soudain terrorisé, il n’allait pas prendre ce couloir, jamais il ne prendrait ce couloir. Il reprit son chemin dans le couloir avançant sur la moquette bleue immaculée.
Vert.
Le mot s’était imposé à son esprit, le sol dans les couloirs du hall d’arrivée était vert, un vert délavé et usé par les milliers de pas qui le foulaient quotidiennement. Cette moquette la était bleue, non seulement elle était bleue mais en plus elle était immaculée, nulle part de taches, pas la moindre usure, un bleu uniforme et limpide.
Il ne viendrait à l’idée de personne de poser de la moquette dans le couloir d’un aéroport.
Cette pensée venait de le traverser comme une évidence. Personne ne poserait de moquette dans un couloir d’aéroport, à part Janice évidement, janice et son bleu sa couleur tant aimée. Le hall et tout les couloirs qu’il avait traversés durant ces voyages étaient toujours fait de béton recouvert d’une peinture plastifiée, et cas plus rare dans les aéroports récents de carreaux de pierre polis. Il cria.
IL Y A QUELQU’UN ?
Même l’écho ne lui répondit pas, personne ne répondit, des yeux il cherchait une caméra, le signe d’une présence humaine, d’une présence tout simplement. Il marchait la tête basse comptant les pas.
Gate number J10
Il gémit, un murmure désespéré qui s’échappait de sa gorge. Il avait soif, il était fatigué, sa gorge sèche le faisait terriblement souffrir il s’en rendait compte soudain. Il posa sa valise et s’assit dessus, massant la paume de sa main. La poignée avait laissée des cloques sur sa peau, il savait qu’elles allaient le faire souffrir plusieurs jours. Maudite Janice. Elle aurait sûrement une crème pour lui. Elle avait toujours tout genre d’onguent, et plein de recette de sa grand-mère pour soigner tout ces bobos du quotidien. Elle parlait toujours de sa grand-mère avec une pointe de fierté dans la voix. Sorcière, sa grand-mère était soi disant sorcière, stupide bonne femme, pas étonnant qu’il puisse aussi facilement se jouer d’elle. Il regarda les portes coulissantes en soupirant. Puisque l’on voulait, semble t’il qu’il s’engage par la, eh bien il irait par la. Se relevant, hésitant quelques instants il entra dans le couloir et s’avança.
La même moquette bleue, les mêmes néons froids au plafond, la seule différence la porte au bout. Une porte comme une promesse, comme un espoir. Qui disait porte disait forcément sortie, donc il allait sortir et peu importe ou, ce qui comptait c’était de sortir. Il sursauta en entendant la porte se refermer derrière lui. Il se mit à avancer rapidement dans le couloir en répétant mentalement comme un mantra « Gate Number J10, Gate Number J10 ».
La porte glissa devant lui et il hurla. Il ne cria pas, il hurla de tout son être un cri de terreur et d’angoisse.
Le couloir s’étendait des deux cotés de la porte, moquette bleue, néons froids. Dans son mouvement circulaire il se perdait au loin comme un abîme sans fin. Il tomba sur les genoux se força à réfléchir posément. Il tournait en rond, on lui faisait une farce, on lui jouait un tour abominable. Il était coincé dans un bâtiment rond, forcément et repassait toujours devant les deux mêmes portes On se moquait de lui. Il fut envahi d’une intense colère et frappa rageusement les murs de ces poings, jurant et criant. Personne ne lui répondit, si ce n’est la douleur dans ces poignets. Ainsi on le prenait pour un imbécile. Ils allaient voir. Il s’approcha de la porte qui s’ouvrit et plaça sa valise dans le chemin de telle manière qu’elle ne puisse plus se refermer. Puis il partit au pas de course dans le couloir, il allait faire le tour du bâtiment, rejoindre l’autre porte et de la fatalement il verrait au bout du couloir sa valise bloquant le système de fermeture. Ils allaient voir, il était loin d’être un imbécile et ce tour de cochon ne resterait pas sans conséquence.
Il courait en riant dans le couloir le souffle court, les reins douloureux, la gorge brûlante.
Gate Number J10
Il s’immobilisa, la sueur lui brûlait les yeux et tremblant s’approcha de la porte qui bascula. Rien, pas trace de sa valise, juste la porte vitrée fermée et immobile au loin. Il pénétra dans le couloir en courant, il allait attraper celui qui se jouait ainsi de lui. Le saisir au vol et lui infliger une sévère correction. Il percuta presque la porte, emporté par son élan, et déboula dans le couloir.
Personne.
Pas un bruit, juste sa respiration haletante et sifflante et le bruit de la porte qui se refermait comme pour répondre a son souffle défaillant. Il se tourna vivement bloquant la porte de la main. La bas à l’autre bout du couloir se trouvait sa valise, posée au sol elle l’attendait bien sagement. Elle riait, il aurait juré qu’elle riait et se moquait de lui. Il serra les dents puis reculant un peu il s’installa au milieu du couloir et déboutonna son pantalon. Sortant son membre mou encore endolori des ébats des trois derniers jours et urina au milieu du couloir. Un sourire dément apparut sur son visage tandis qu’il regardait la tache sombre s’agrandir sous ces pieds.
VOUS POUVEZ TOUJOURS ESSAYER DE L’ENLEVER CELLE LA BANDE DE SALAUDS.
Puis il courut encore dans le couloir droit vers sa valise. Il la retrouva telle qu’il l’avait laissé, du moins c’était ce qu’on voulait lui laisser croire. Il prit la poignée gémissant à la douleur retrouvée et repartit en sens opposé. Lorsqu’il approcha de la porte vitrée il ralentit. Il n’avait aucune envie de mettre les pieds dans son urine. C’était inutile, la moquette devant lui était d’un bleu sans tache. Il tomba a genoux et du plat de la main se mit à chercher les traces d’une quelconque humidité. Rien, la moquette était sèche, parfaitement sèche.
Gate Number J10
Le panneau au dessus de sa tête semblait le narguer, l’observer. Il resta longtemps à genoux, les yeux vides fixant le panneau, s’attendant à le voir disparaître. Il ne se passa rien, finalement il se releva et se mit à avancer dans le couloir, chaque fois qu’il rencontrait un panneau il sortait un objet de sa valise et le jetait au sol puis continuait son chemin.
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Il ne savait plus combien de fois il avait croisé le panneau, combine de fois il était passé devant ces portes vitrées, combien de temps s’était écoulé depuis le début de sa longue errance, De temps en temps il croisait un de ces effets, abandonnés la, parfois longtemps il ne croisait rien. Parfois le couloir était vide, et d’autrefois il retrouvait plusieurs chaussettes, ou un de ces dessous. Il avait perdu la notion du temps, sa gorge lui faisait mal, une douleur sourde était née dans sa poitrine.
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Gate Number J10
Allongé au sol, la poitrine déchirée par la douleur il haletait. Le bleu du couloir se confondait avec le blanc éclatant des néons qui lui faisait mal aux yeux. Il repensait à la malle à roulette, il s’en serait certainement mieux sorti avec une malle à roulette. Il repensa à Janice, qui lui rappelait à présent le couloir, ou bien le couloir lui rappelait Janice, il ne savait plus vraiment. Soudain il se mit à rire ce qui entraîna une douleur encore plus forte au niveau de sa poitrine. Il venait de faire un petit calcul mental en comptant les lettres de la porte.
Gate = 4
Number = 6
J10
Le 4/6/1988 ils s’étaient mariés, et avaient passés leur nuit dans le motel des territoires chambres J10.
Il fut pris d’une quinte de toux entre sanglots et rires et sentit les néons plus qu’il ne les vit s’éteindre doucement. Maudite Janice……….
Le légiste se releva et ôtant ces gants maculés de matières organiques se tourna vers l’inspecteur.
« Pas de doute crise cardiaque, cet homme est mort d’une mort tout à fait naturelle ».
L’inspecteur regardait le corps sur la table en triturant un sachet plastique contenant une mince feuille cartonnée dans sa main.
« Qu’y a-t-il inspecteur ? Vous me semblez préoccupés ? Des hommes mort dans les toilettes des aéroports on en trouve souvent, je ne vous apprends rien »
L’inspecteur soupira un instant.
« Ce qui me chiffon c’est d’abord toutes ces affaires répandues sur le sol, on aurait dit qu’il avait passé ces derniers instants à tourner en rond dans les toilettes et jeter tout ces habits au sol. »
« Allez savoir ce qui passe dans la tête d’un homme qui se sent mourir, ou peut être s’agit t’il la d’un acte de pillage, un employé quelconque qui aura voulu arrondir ces fins de mois ».
L’inspecteur secoua la tête.
« Il ne manquait rien, sa femme nous l’a confirmé ainsi que les empreintes. Non ce qui est plus troublant c’est ceci »
Disant cela l’inspecteur leva vers le docteur la pochette de plastique.
« Eh bien Inspecteur, c’est un billet d’avion ni plus ni moins »
L’inspecteur fixa un long moment le morceau de papier.
« Ni moins, mais peut être plus, voyez vous ce billet est une réservation pour un vol vers Salem, embarquement Gate number J10. Le hic, c’est qu’il n’y a pas d’aéroport à Salem, pas plus qu’il n’y a de terminal J10 dans cet aéroport. »
Le docteur ne dit plus rien, son regard passait du billet à l’inspecteur incrédule. Celui-ci remit la pochette dans son imperméable et saluant le légiste il franchit la porte. Tout en marchant dans le couloir il ressassait tout ces points de mystères, perdu dans ces pensées il remarqua toutefois que l’on avait refait la décoration du couloir. Les murs étaient à présent d’un bleu tendu de velours et le sol s’ornait d’une moquette bleue immaculée. Il s’engagea lentement dans le couloir semi circulaire……
Tu ne serais pas par hasard un fils caché de Stefen King ? Du pur bonheur... prise de tête à souhait. Félicitations
Rédigé par : Christian | 16/05/2005 à 00:00
EXCELLENT !!!!!!!!!!!!!
Rédigé par : laurence | 16/05/2005 à 02:11
Hé bé! J'en suis baba!!!
Rédigé par : coyote des neiges | 16/05/2005 à 03:27