Jeudi 28 Avril 2005,
Comme à tous les jours, j'ai pris l'autobus pour recouvrer la constance du douillet confort de ma demeure. Et comme souvent, je me contentais lors du trajet de regarder partout en ne portant attention à rien, conservant une mine un peu défaitiste mêlée des mortes euphories de la journée.
Puis tandis que je fleuretais encore avec le vide des cent visages tentant de s'oublier devant moi, ma vision rendue glauque d'homogénéité s'est éclairée, brusquement.
C'est que voyez-vous (je crois aussi qu'il faut être femme coquette pour saisir la subtilité de la chose) un homme pour le moins remarquable est venu s'asseoir justement sur la banquette me faisant face. Il était beau comme on imagine le produit des labeurs de mille généticiens érigeant l'Homme des restes d'Apollon, non plus beau encore, car même la divinité n'est pas perfection. Son corps, svelte et manifestement épuré de tous les vices, se présentait tel l'intime absolu, magnificence sans égal. Plus aucune toile, plus aucune chanson, plus même aucun mannequin brillant des pleins feux de ses danses salaces n'atteindrait pareillement mes chairs voraces, ayant ô connu leur mentor.
Et ses yeux.
Jamais un seul regard ne m'avait exulté au visage autant de pureté. Insoutenable. Je tremblais intérieurement, croisais mes jambes dans la vaine tentative de réprimer cette chaleur qui me gagnait les viscères. Tressaillie, hébétée, comme inondée de la sainte trinité, je voguais sans voile sur les effluves messianiques de mon prince nonchalant.
Qu'ainsi m'a paru doux son visage. Car c'est bien la capacité qu'a quelqu'un de se dévoiler amorphe qui consacre sa pureté...
Heureuse. Gloussante.
Un peu enivrée encore, je me levai et me dirigeai vers lui d'un pas Sylphide et m’arrêtai juste devant lui. Puis je fixai sobrement son nez, ses lèvres, son cou, parcourant de ma langue ces délices en pensées, puis cessai, car il m’avait remarqué. Nos regards se croisèrent, j’abaissai immédiatement le mien comme pour m’excuser de l’affront. Il me regarda en même temps avec une mine piteuse accolée au sourire condamnateur qui raccordait les commissures de ses lèvres. – Après tout, dans le bus, il est de mise d’éviter les autres non pas de les observer continûment.
Je suis aussitôt descendue de l’autobus et j’ai marché, sans même le contempler s’éloigner de moi à jamais; je l’avais assez vu.
En cheminant vers la maison, j’ai su que je ne voulais garder de lui que d’austères souvenirs conscrits dans mon carnet, et suivis de la question : Que serait-il arrivé si je lui avais demander son nom?
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