— Déjà un trou et pourtant il était neuf, je te le jure…
Elle termine sa phrase en se mordillant la lèvre inférieure, geste qui vise surtout à contrôler le flot d’émotions qui l’a envahi depuis qu’elle a sorti le chandail de sa valise. Je vois bien, à sa mine défaite, qu’elle est terriblement déçue. J’insiste à nouveau pour lui faire comprendre à quel point ce détail n’a pas la moindre importance à mes yeux. Son cadeau n’a rien perdu de sa valeur, bien au contraire.
— Je sais pas ce qui s’est passé, répète-t-elle tout bas. C’est pourtant du cachemire de première qualité.
Elle continue de fixer le pull, toujours aussi désemparée. Son index s’enfonce entre les mailles, comme si le trou était une brèche qu’il fallait colmater à tout prix.
C’est à mon tour d’avoir le cœur gros. J’ai horreur de la voir dans cet état. Elle était si excitée une minute plus tôt. Le voyage a été éprouvant, mais combien enrichissant. Un mois à parcourir l’Asie dans toutes les directions. Elle en rapporte des odeurs, des saveurs, des émotions qui l’habiteront pendant encore longtemps. Durant le trajet qui nous menait de l’aéroport à la maison, elle n’a pas très bien su par quoi commencer. « Tu es fatiguée, ma belle. Prends le temps de décanter un peu. On en reparlera plus tard. »
Elle a souri puis son regard a dévié sur le flot de la circulation. Moins de cinq minutes plus tard, elle dormait. Le décalage horaire et les heures de vol, interminables, auront eu raison d’elle. Adam, son chum, n’a pas pu venir à l’aéroport. Il brûle pourtant de la revoir. Cette fille lui est vraiment rentrée dans la peau, pour employer une expression trop connue. « Vous allez me le dire si quelque chose de grave lui arrive, hein? » demandait-il chaque fois qu’il me téléphonait pour prendre de ses nouvelles. Sa manie de me vouvoyer m’agace encore un peu, mais je n’y fais plus attention.
— Je comprends pas... dit-elle encore une fois.
Je croise son regard et essaie de la faire sourire. Sa présence est tout ce qui importe pour moi. La savoir en bonne santé. La savoir à la maison. Le chandail peut bien aller au diable. De toute façon, j’en ai plein de chandails troués. Ça ne m’empêche pas de les mettre tous les jours. Et puis celui-ci aura une valeur toute particulière. Je le mettrai pour travailler, et j’en serai fier.
— Laisse moi l’essayer, lui dis-je pour qu’on en finisse enfin. Peut-être qu’il ne se verra même pas, ce fichu trou.
C’est à son tour d’avoir le regard désolé. Un mince sourire se dessine bientôt sur ses lèvres.
— C’est gentil, papa, mais le chandail est bien trop petit pour toi. Il est pour Adam. Il rêvait d’un chandail en cachemire. J’espère qu’il sera pas trop déçu.
Elle laisse finalement de côté l’objet de sa déception puis fouille frénétiquement dans une autre valise pour en sortir une petite boîte de carton à l’intérieur de laquelle se trouve ses notes de voyage. Des dizaines de feuillets, noircis par son écriture très fine. Dans les marges, elle a ajouté ici et là des dessins assez rigolos. C’est mon cadeau, celui-là. Je suis vraiment ému. Déjà, je ne pense plus au chandail.
Ça fait plutôt mon affaire, pour tout vous dire. Le rose ne me va pas tellement bien...
J'adore ce texte-là! :)
Rédigé par : La Souris | 26/03/2005 à 13:39
Le cachemire, j'adore...
Mais bon, un trou dans le papier et on se retrouve dans la merde.
(humour de pub de papier-cul québécois)
Rédigé par : Daniel Rondeau | 27/03/2005 à 11:19