Il m'arrive de me dire que je suis faite de plus de paradoxes que la moyenne des gens. C'est dans les mauvais jours. Ces moments où j'oublie qu'en fait je suis juste consciente de mes paradoxes et plus honnête, peut-être, que plusieurs. N'est-ce pas, hein, que vous avez plein de squelettes inavouables dans vos placards vous aussi?
Nous entrons ces jours-ci dans mon moment paradoxal préféré. Il n'est, en effet, pas très difficile d'imaginer toutes les raisons pour lesquelles les Jeux olympiques s'inscrivent en contradiction directe avec mes valeurs. C'est d'abord un show de boucane patriotique et je suis sûrement l'une des personnes les moins patriotiques qui soient (peu importe à quelle patrie vous référez). Les symboles patriotiques ont, d'usage, très peu d'effet sur moi. Je n'ai jamais eu de drapeau dans mes mains et je n'en ressens aucun malaise et si les hymnes nationaux m'émeuvent, c'est plus à cause de l'effet de choeur que de ce qu'ils racontent.
Les JO, c'est aussi une overdose de marketing agressif. Une parade ininterrompue de commanditaires, un encouragement incessant à la surconsommation et une plateforme commerciale comme seul peut l'être un grand événement sportif. Ça donne le tournis.
Sans parler, évidemment, qu'en faisant davantage la promotion de la victoire que de quoi que ce soit d'autre (malgré les slogans), l'organisation de ce type de compétitions encourage des comportements excessifs et inquiétants. Et que dire du culte du corps et de l'avalanche de journalistes qui nous abreuveront de questions profondes et d'histoires de vie? Sans parler de la pression urbaine, de l'endettement et des villes qu'on vide de leurs éléments moins glorieux dans une forme de ségrégation socialement acceptée.
Et pourtant.
J'adore ça.
Et tout indique que je passerai une bonne partie de ces deux semaines la bouche ouverte, sur mon canapé, avec une boîte de kleenex pas loin parce que parfois trempée dans une émotion qui ne fait pas ma fierté. Deux semaines à me dire que j'aurais dû être sportive, que je devrais me lancer dans le tennis, ou la voile, ou le judo, ou le tir à l'arc même, pourquoi pas.
Je suis exactement le genre d'auditrice des JO dont on peut se permettre de dire toutes les méchancetés. Je m'intéresse au sport à la télé deux semaines chaque deux ans, je n'y connais rien et j'aurai pourtant des avis sur tout. Il faut que je réapprenne les règlements parce que j'ai le temps d'oublier entre chaque occasion.
Des fois je m'endormirai sur le divan devant une compétition de volley-ball tout en grommelant contre un pays dictatorial qui ne devrait même pas se trouver là ou encore en pestant contre le ridicule de cette idée d'une trêve olympique... Mais je verserai quand même une larme devant une médaillée canadienne d'un sport obscur et dont je ne me souviendrai plus du nom avant longtemps, même pas disons pour avoir la bonne réponse dans un éventuel jeu-questionnaire télévisé.
Je ne sais pas d'où ça vient. Des gens qui savent mal compter disent que c'est à cause de Nadia Comaneci, mais comme je n'étais pas née en 1976, ce serait bien étonnant. Ça a plutôt dû commencer à Los Angeles en 1984. Mon vrai souvenir c'est Séoul, 1988.
Fascinée d'abord par les drapeaux, par la cérémonie d'ouverture, par la vastitude du monde. Il y avait aussi quelque chose d'addictif pour moi, une enfant légèrement obsédée par l'ordre et les classements, dans ce cirque qui multiplie les tableaux, les listes, les points. J'aime du sport sa capacité à tout mettre en boîte ou, du moins, son obsession à y parvenir même quand ce n'est pas aisé de le faire. J'aime ça du sport tout en étant bien soulagée qu'on ne demande pas l'équivalent aux arts qui m'occupent le reste du temps.
Alors pendant deux semaines je consommerai du patriotique, du marchandage, de l'image, du vécu. Ma preuve qu'on peut être conscient de l'aliénation et s'y laisser glisser. Voilà un événement qui exploite à outrance les canons sirupeux de la culture populaire et par lequel je me laisserai happer en me disant qu'après tout, ce n'est que deux semaines et même pas chaque année.
J'ai l'air de me sentir coupable, mais ça ne durera pas...
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